C’est une information passée totalement inaperçue dans l’actualité de la semaine écoulée et qui est pourtant profondément connectée aux enjeux européens de l’heure. Vendredi, on a appris que la Commission européenne a donné un avis positif à la troisième demande de paiement de la France dans le cadre du plan de relance européen décidé à la sortie de la crise du Covid-19, le fameux NextGenerationEU. Ces 7,5 milliards d’euros de subventions européennes qui vont arriver dans les caisses de l’Etat sont destinées à financer des dépenses d’avenir, de bonnes dépenses publiques donc… C’est de l’Europe concrète, qui financera le verdissement des transports, notamment la rénovation de 500 km de petites lignes ferroviaires locales, l’installation de 1600 bornes de recharge électriques, l’accélération de la connexion à la fibre sur tout le territoire et enfin le développement de l’apprentissage. Dans un pays obligé de faire 20 milliards d’euros d’économies budgétaires pour échapper à la dégradation par les agences de notation, l’argent du plan de relance européen tombe à point nommé. Au total, la France aura reçu avec ce nouveau versement 30,9 milliards d’euros de la part de l’UE, soit 75% des 40 milliards dévolus à notre pays. Deux autres demandes de paiement restent à venir d’ici à 2026. L'Italie, de son côté, sera la mieux lotie et recevra au total 200 milliards d’euros. Ce que l’Europe a su faire en 2020 avec NextGenerationEU, c’est du « quoi qu’il en coûte » à l’échelle communautaire. En un week-end, un accord entre la France et l’Allemagne a permis de dépasser la lettre des traités européens pour engager 800 milliards dans des dépenses d’avenir… Dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron plaide pour que l’Europe, qui est sous-endettée en tant qu’institution si on la compare aux États-Unis, se dote d’une capacité budgétaire supplémentaire pour accélérer son rattrapage économique. Il s’appuie sur les travaux des deux anciens présidents du conseil italiens, Enrico Letta et Mario Draghi, qui dressent tous deux un constat lucide et inquiet sur le décrochage de l’Europe. Dans un rapport présenté le 18 avril dernier, Enrico Letta met en avant la nécessité d’achever le marché unique européen afin de créer un marché des capitaux unifié et mettre fin à la fuite de l’épargne européenne vers les Etats-Unis, qui se fait au détriment de notre transition verte. Pour réaliser cette union des marchés de capitaux, l’Europe devra cependant accepter d’avancer vers une union budgétaire sans laquelle il sera impossible de lever les barrières entre les dettes nationales. Ce que les traités ne permettent pas pour le moment. Mario Draghi de son côté doit remettre en juin son rapport sur la compétitivité européenne dont il a déjà dévoilé les grandes lignes le 16 avril. L’ancien patron de la BCE, inventeur du « quoi qu’il en coûte » (en anglais « whatever it takes ») qui a sauvé la zone euro en plein crise de la dette grecque, estime que l’Europe des années 2020 est confrontée à un « mur d’investissement » pour réussir sa transition énergétique. Il l’a chiffrée à 500 milliards d’euros et plaide pour la financer par un emprunt communautaire sur le modèle du plan de relance décidé pendant le Covid. Emmanuel Macron va un cran plus loin et a évalué entre 650 et 1000 milliards d’euros l’argent nécessaire pour combler notre retard technologique et climatique, en y ajoutant les 100 milliards d’euros évoqués par la Première ministre estonienne Kaja Kallas pour financer l’Europe de la défense. 1000 milliards d’euros : c’est très exactement le montant total des subventions prévues par l’IRA, l’Inflation Reduction Act lancé par Joe Biden et que même Trump ne remet plus en question. Le trillion de dollars, ou d’euros, c’est la nouvelle échelle des plans de relance budgétaire dans un monde obligé de changer de paradigme économique face à la l’accélération des transitions climatique et technologique. Reste une question à 1 euro : le chancelier Scholz se laissera-t-il convaincre par Emmanuel Macron comme l’a été Angela Merkel pendant la crise du Covid pour endetter l’Europe. Ce débat, en filigrane des élections du 9 juin, continue d’opposer les « frugaux » de l’Europe du Nord aux « dépensiers » du Sud. Et c’est sans doute pour convaincre les premiers que le président français a dramatisé à ce point les enjeux ces derniers jours. Sa campagne « l’Europe peut mourir » vise à convaincre les plus réticents que l’heure est grave, vraiment. Mais tous les espoirs restent permis si l’Europe sait se réveiller…
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