Dévoilé en grande pompe le mois dernier, le dictionnaire de l’Académie française est déjà considéré comme ridiculement obsolète. Nombre de linguistes ont relevé l’amateurisme des Immortels et la Ligue des droits de l’homme a même dû s’en mêler, appelant à rectifier en urgence plusieurs définitions teintées de racisme. Face à une conception archaïque et parisiano-centrée de ce que doit être une langue, il existe fort heureusement un français vivant. Le sociolinguiste Médéric Gasquet-Cyrus, qui est allé regarder les changements de différents dictionnaires au fil du temps, défend une vision ouverte d’un français aux mille variations du Québec jusqu’en Afrique en passant par la Suisse et la Belgique. Ce spécialiste du parler marseillais, qui fait partie du collectif des linguistes atterrés, rejette l’idée d’un "bon usage" censé s’imposer au détriment de tous les autres. Et c’est peut-être une préoccupation de certains jeunes auteurs et autrices, telle Louise Bentkowski qui a intitulé son premier roman d’un mot inventé, Constellucination. Au moment même où linguistes et académiciens s’écharpent, un poète a disparu. Il s’appelait Jacques Roubaud, était membre de l’OuLiPo, mouvement littéraire lancé par Raymond Queneau. L’écrivain aux merveilleux néologismes avait, entre autres, tenté de réconcilier langue littéraire et langue parlée. En sa mémoire, attrapons le français pour le régénérer. Bonnes lectures et bonnes écoutes!
granitique
Droit au brut
Thierry Luterbacher, "Alarme à l'oeil", ed. Bernard Campiche Cogneur cognitif, Misère revient dans sa ville après le décès de sa mère. Lorsqu’il tombe sur l’agression d’une bande, il va à la castagne et délivre une jeune Manouche qui le suit, mutique, jusqu’à sa tanière. Lui, l’homme seul qui n’a besoin de personne se retrouve en manque lorsqu’elle cesse soudainement de le pister. Par le prisme de ce bagarreur de rue, Thierry Luterbacher décrit le chaos dans une ville en proie aux émeutes. Par Philippe Congiusti
Louise Bentkowski, Constellucination, ed. Verdier Au départ, il y a ce nom, Bentkowski, qui est aussi celui d’une vallée où se sont arrêtés des nomades venant sans doute de l’Indus. Il sera peut-être celui de l’arrière-arrière-arrière-petit·e enfant qui verra le jour dans un monde à portée d’imagination. Dans un texte aussi bref qu’original, distribué en 18 chants telle une épopée hallucinatoire, l'auteure explore sa généalogie passée et future. Par Catherine Fattebert
Médéric Gasquet-Cyrus, Va voir dans le dico si j'y suis !, ed. de l'Atelier Les dictionnaires, véritables institutions au sein de nos bibliothèques, sont censés délivrer le « vrai sens des mots ». Mais les mots ont-ils un seul et vrai sens ? Pas exactement… Comme le montre ce livre, ces volumes quasi sacrés sont en réalité des miroirs – plus ou moins déformants – de nos sociétés et des époques qu’elles traversent. Par Sylvie Tanette
A lʹheure de la réouverture de Notre-Dame de Paris au public, Quartier Livre revient sur le rôle quʹa joué la littérature dans l'accession de ce monument au statut de superstar. Quelle était son image avant ? Notre-Dame de Paris de Hugo est-il un roman gothique ? Comment la fiction a-t-elle politisé cet édifice autrefois menacé ? Par Ellen IchtersAdaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente
Grégory Panaccione, Nos âmes oubliées, ed. Le Lombard, 240 p.
Après nous avoir éblouis aves ses dessins clair-obscur dans La Petite Lumière (ed. Delcourt), Grégory Panaccione adapte cette fois le récit autobiographique de Stéphane Allix. Ancien reporter de guerre, passionné par la question de la vie après la mort (à laquelle il a consacré plusieurs livres), le journaliste dévoile ici une facette plus intime. En développant une maladie auto-immune, Stéphane Allix se rend compte que la médecine classique ne peut rien pour lui et qu’il n’a aucun souvenir de son enfance. La thérapie psychédélique lui permettra de faire face au traumatisme vécu et de se reconstruire. SC
roman
Carl Safina (trad. Odile Demange & Pierre Reignier), Une vie de hibou, ed. Buchet-Chastel, 496 p.
L'histoire émouvante et vraie du sauvetage d’Alfie, une petite femelle hibou visiblement condamnée et qui a partagé pendant une année (de pandémie) la vie de Carl Safina. Au milieu d’une étrange ménagerie faite de chiens, poules, serpent, perroquets, Alfie est devenue la petite amie de l’auteur américain, redéfinissant son rapport à l’autre et à la nature. Que signifie le sauvage, et a-t-on le droit de l’imposer à tout être selon une préconception somme toute très humaine ? Une vie de hibou – tout ce que j’ai appris en sauvant Alfie raconte une histoire de beautés profondes et de moments magiques au sein d’une année bouleversée. EI
POésie illustrée
Rudyard Kipling, Hugo Pratt, traduction de l’anglais par Dominique Petitfaux, Poèmes, éd. Le Tripode, 152 p.
Publié pour la première fois en 1992, ce recueil de poésie illustré renait aujourd’hui sous la plume de Dominique Petifaux. Dans une traduction qui privilégie le sens, la langue de Rudyard Kipling est ainsi ravivée et une trentaine d’aquarelles de Hugo Pratt, l’inventeur de Corto Maltese, ponctuent les textes. Des images colorées et allusives comme des estampes illustrent des soldats. Leur singularité tient à leur posture, non pas héroïque et guerrière comme le veut la coutume, mais au contraire: fragile, désemparée et profondément humaine. LS
ESSAI
Pierrine Poget, Carnets d’une veilleuse, ed. MétisPresses, 152 p.
En découvrant les carnets de rapport tenus entre 1952 et 1955 par la Sœur principale de l’Hôpital de Loëx (GE), Pierrine Poget y lit, entre les lignes, la graphie ou les non-dits, une personnalité généreuse à l'œuvre. Attachée aux moindres inflexions de ces écrits modestes, recomposant en enquêtrice avertie les situations esquissées, l’autrice genevoise engage un dialogue avec cette Soeur de papier, devenant à son tour la "veilleuse" de ces voix du passé. A l’intelligence du propos s’allie la beauté d’une édition soignée, jalonnée de reproductions des carnets et de ruptures bleu nuit. NJ
Smoothie, paru aux éditions Okama, explore les questionnements dʹune jeune femme qui, après une rupture sentimentale, tente de se reconstruire tout en naviguant à travers les injonctions sociales au bonheur. Son auteure, Stéphanie Glassey Schwitter était lʹinvitée dʹAnne Laure Gannac et de Yacine Nemra qui en fait le portrait dans Vertigo. Vertigo, RTS Première, ve 22 novembre
Lisez et votez! Il ne reste plus que quelques semaines pour choisir votre préféré parmi les cinq romans proposés pour cette 11e édition du Prix du Livre de la Ville de Lausanne: La vie des choses de Marc Agron, Une singularité de Bastien Hauser, Le Lotus jaune d’Hélène Jacobé, Histoire de l’homme qui ne voulait pas mourir de Catherine Lovey et Au cœur de la bête de Lorrain Voisard. Le vote est possible par jusqu'au 31 décembre! Plus d'infos sur le site de la Ville de Lausanne.