Samedi 11 janvier 2025

En toute liberté

Chaque samedi, l'actualité vue par le rédacteur en chef

Frédéric Lelièvre
CEO et rédacteur en chef de L’Agefi

Ces milliards que tout le monde veut, à tort

Le bénéfice record de la BNS suscite les convoitises, ce qui fragilise son indépendance.

L’année 2025, que je souhaite excellente à toutes nos lectrices et à tous nos lecteurs, débute par un sujet qui déchaîne les passions: les milliards de bénéfice de la Banque nationale suisse (BNS).

Jeudi, la Confédération et les cantons ont appris qu’ils recevraient un total de 3 milliards de francs de dividendes de la banque centrale, soit bien plus que ce qu’ils avaient budgété. Rien que cet énoncé aurait de quoi faire bondir tout économiste digne de ce nom. L’indépendance des instituts d’émission face aux pouvoirs publics n'avait-elle pas été une grande victoire de la fin du XXe siècle en matière de politique monétaire, au moins dans les économies développées? 

La Suisse reste en effet une exception. Cotée en Bourse mais avec la majorité de son capital contrôlé par les cantons, la BNS reverse une partie de ses bénéfices à ses actionnaires, à certaines conditions. La taille démesurée prise par son bilan depuis la crise financière de 2008, en raison d’achats massifs de devises afin de limiter l’envolée du franc, a totalement changé les choses. Investis à travers le monde, ses quelque 800 milliards de francs de réserve produisent des gains parfois gigantesques, comme l’an passé, ou des pertes tout aussi abyssales (132,5 milliards en 2022). 

Les responsables politiques, surtout en Suisse romande, ignorent cette volatilité et préfèrent considérer la BNS comme une banque commerciale, comptant de plus en plus sur elle pour combler leur déficit budgétaire. Ou financer l’AVS, la transition énergétique, et pourquoi pas demain le métro de Genève? 

Comme nous l’avons écrit cette semaine, le versement de ces dividendes aux collectivité publiques est donc une fausse bonne nouvelle. Le débat sur leur utilisation détourne l’attention de la seule mission de la BNS: assurer la stabilité des prix. Or, l’expérience a montré que pour être atteint, cet objectif requiert que celle-ci soit indépendante de l’Etat. De ce point de vue, la taille de son bilan est devenue un poison. 

  

Un autre débat occupe nos colonnes en ce début d’année, la réforme du système de santé. Mes collègues Jonas Follonier et Nathalie Praz ont interviewé Pierre-Yves Maillard dans son stamm de Renens. Le conseiller aux Etats socialistes et président de l’Union syndicale suisse précise son projet de caisse unique. Exit la solution fédérale, un temps évoquée, place à une réponse cantonale. Est-ce un progrès? Le problème est que le Vaudois défend toujours une mainmise de l’Etat sur le système, tolérant à peine les acteurs privés. On ne peut pourtant pas dire que son propre canton soit source d’inspiration, lorsque l’on voit l’état catastrophique des finances du Chuv et sa gouvernance hautement opaque. Sans oublier que les hôpitaux universitaires romands sont à la fois les plus subventionnés de Suisse, et les plus déficitaires

Sur le dossier européen, le socialiste qui fut un fervent partisan de l’adhésion à l’Espace économique européen au début des années 90 se montre inflexible. Quoi que le Conseil fédéral fasse, ce sera un grand NON aux nouveaux accords bilatéraux conclus avec Bruxelles fin décembre. 

  

La semaine a aussi été marquée par les attaques d’Elon Musk contre plusieurs dirigeants européens. La Suisse y échappe pour le moment. Sommes-nous trop petits pour le nouveau bras droit de Donald Trump? Nous verrons s’il se rend au Forum économique mondial (WEF), qui tient sa réunion annuelle la semaine du 20 janvier à Davos (L’Agefi y sera). En attendant, ses attaques m’ont rappelé ce que l’essayiste David Baverez écrivait dans son dernier ouvrage, paru au printemps dernier. L’essayiste mettait en garde la vieille Europe contre les Etats-Unis, prêts à la «piller» afin de maintenir leur avance sur la Chine. Le Groenland, territoire danois désormais revendiqué par Donald Trump, en est la dernière illustration. 

  

Pour conclure, je ne peux que vous recommander la lecture de notre débat avec trois stratégistes de l’Isag, Daniel Jakobovits (Hyposwiss Private Bank), Arthur Jurus (Oddo BHF Bank Suisse), et Valérie Lemaigre (BCGE). Car malgré l’incertitude politique, il faut bien continuer d’investir. Ne me dites pas que vous êtes inquiets au point de laisser vos économies dormir sur un compte épargne au rendement réel nul. A titre d’exemple, ceux qui ont acheté des actions UBS il y a quelques années n’ont pas eu à s’en plaindre, comme le résume Christian Affolter. 

  

Ce que vous n’aimeriez pas manquer
L’offre de bureaux a progressé en 2024, en prévision d'une baisse du télétravail

Une étude portant sur les principaux centres d’affaires en Suisse révèle un taux d’offre de surfaces disponibles en hausse de près de 10% l'an dernier par rapport à 2023. 

Le gestionnaire Auris veut croître à Genève

La création d’une filiale en Suisse a permis aux deux cofondateurs du groupe parisien Auris Gestion de renouer avec leurs racines. La structure mise en place permet d’accueillir de nouveaux gérants.

L’idée d’un statut d’entreprise durable retirée par son autrice

Craignant une non-entrée en matière du National sur son initiative parlementaire, qui «aurait donné un mauvais signal», la Verte vaudoise Sophie Michaud Gigon a décidé en décembre de se rétracter.

La conjoncture genevoise poursuit sa progression dans le vert

Alors que l’économie genevoise profite de conditions favorables, le Jura est entré en récession en raison de deux trimestres consécutifs de croissance négative.

Le pouls des marchés
Le dollar débute l'année en force face au franc suisse 

Le billet vert continue de profiter d’un certain effet Trump. Ce dernier est appelé à s’atténuer au fur et à mesure que les projets de la future administration se concrétiseront. 

Des perspectives prometteuses pour les obligations

Les taux d’intérêt sont sur des niveaux attractifs dans de nombreuses économies mais les primes de risques (spread) sont historiquement basses.

L’action de la semaine: Tempus

Le potentiel de hausse moyen du prix de l’action sur les six à douze prochains mois est actuellement d’environ 55,70%.

En vidéo
«Be to B» - Adrien Genier, directeur de la Fondation Genève tourisme et congrès
Des opinions qui font débat
Travailler à temps partiel, sans abuser des aides de l’Etat

Travailler moins pour avoir plus de temps libre, c'est bien, mais pas si l'Etat doit compenser le manque à gagner avec certaines prestations sociales.

Par Pierre-Gabriel Bieri

Initiative sur la responsabilité environnementale: irresponsable!

La mise en œuvre du texte conduira à une diminution drastique de l’activité économique en un temps très court. Et pénaliserait les habitants dans de nombreux domaines.

Par Stéphanie Ruegsegger

A lire seulement dans Agefi Life
Prendre de la hauteur au Forestis

Plus qu’un hôtel 5*, c’est un havre de paix étreint par la beauté dramatique des Dolomites.

Et la semaine prochaine ?

Le WEF publiera mercredi son rapport annuel sur les risques dans le monde. En 2024, le principal danger venait de la désinformation. Je ne suis pas sûr que ce soit si différent cette année, à en croire la distance toujours plus grande que les patrons des réseaux sociaux – X et Facebook en tête – prennent avec la vérification des contenus qu’ils diffusent. A moins que l’instabilité politique ne devienne la préoccupation première à l’approche du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. 

A suivre aussi, les résultats financiers d’une série de sociétés suisses, comme Lindt & Sprüngli (mardi), Bossard (mercredi), Geberit et Richemont (jeudi) ou encore Amag (vendredi).