« Réparer les vivants »de Maylis de Kerangal : probablement magnifique, mais refermé à la page 10. La mort d’un fils du point de vue d’une mère, au-dessus de mes forces. Je m’en croyais capable parce que trois ans plus tôt, j’avais lu « le Fils ». C’était oublier que dans le texte de Michel Rostain, c’est l’enfant emporté par une méningite foudroyante qui parle. Qui regarde tendrement ses parents endeuillés. C’était tellement doux. A sa sortie, en 2011, je l’avais offert à des amis. Et quatorze ans plus tard, j’en gardais des choses. L’image d’une chambre, la sensation de la fièvre, l’agitation parentale qui précède les drames et une phrase : « Le onzième jour après ma mort, papa est allé porter ma couette à la teinturerie. » Je me souvenais aussi du prénom du fils, Lion, qui m’avait marquée par son audace élégante (en général, je désapprouve les audaces d’état civil). Lion, c’est un prénom magnifique, je l’avais googlé. J’avais découvert Lion Philips, ami et mécène de Karl Marx. J’étais aussi tombée sur Loup, que j’ai récemment utilisé dans un roman en pensant à Lion, en me disant : « Tiens ça fera des copains de papier. » Et puis, il y a une semaine, le prénom Lion est revenu dans ma vie. Plus d’une décennie après « le Fils », prix Goncourt du premier roman, Michel Rostain publie « la Joie malgré » (Calmann-Lévy, le 12 mars), livre dans lequel on apprend que le deuil n’a pas besoin d’être en cinq étapes infernales et de ressembler à un jour sans pain. C’est à un programme d’improvisation joyeuse que nous invite Rostain. Comment faire ? Faites du monde une scène. De la présence de l’absent, le thème de la pièce. Attrapez tous les signes de cette présence, à l’arrache, comme au théâtre on rebondit sur un trou de mémoire ou on intègre au jeu une échelle qui tombe. Restez à l’affût du moindre aléa. Ces statues de lion dans la rue, n’est-ce pas le fils qui nous dit bonjour ? Mais si, bien sûr ! Bonjour ! Et que dire de l’éruption de l’Eyjafjallajökull (où les cendres du fils ont été déposées, des années plus tôt) ? Ces « nuages stratosphériques » ne sont-ils pas un énorme câlin du fils ? Oh là là, mais oui. Ce jour-là, les parents ont dansé de joie sur leur terrasse. Dans « la Joie malgré », Michel Rostain raconte sa vie de « drogué aux coïncidences ». Et nous montre qu’un artifice (facile aux artistes, mais à la portée de tout le monde) qu’on pourrait appeler la « coïncidence acquise » aide à la survie. Il écrit : « A force de jouer avec des perceptions extrêmes qui étaient les nôtres, à force de faire semblant de faire semblant comme disait Marivaux, nous avons travaillé à la production de sens. Nous avons fait en sorte que chaque jour dans notre deuil soit du vrai. Il en est allé avec elles comme avec les réalités du théâtre : nos visions, nos jeux, nos impros et autres dingueries, c’étaient aussi des réalités. Oh, presque rien, comme aurait dit Vladimir Jankélévitch, mais un presque-rien énorme. » Un presque-rien qui est complètement contagieux. On referme ce livre en ayant envie de changer d’attitude avec nos morts. Ne pourrions-nous pas les inclure, leur faire une place, leur parler, leur sourire, les engueuler, les voir quotidiennement ? Car après tout, a-t-on besoin d’un corps pour exister ? Nolwenn Le Blevennec |