C’est un plaisir aussi intense que l’odeur de la pluie en été, que le fait de mordre dans une tarte aux pommes encore chaude. Tenir un livre neuf entre les mains, le humer, savoir que personne d’autre n’a encore «cassé» sa tranche. Ce livre que l’on posera délicatement et esthétiquement sur une table, non loin de soi, pour frissonner d’impatience à l’idée de s’y plonger. Ou qu’au contraire, on laissera vieillir sur l’inénarrable PàL (pile à lire). Ce livre est à nous, rien qu’à nous, notre « précieux », possession pour laquelle on accepte de débourser une somme parfois considérable.
Pourtant, il y a tout autant de beauté à louer ce même livre pendant un temps donné, gratuitement, par le miracle des bibliothèques. L’expérience sensorielle n’y est pas absente: au-delà du frisson primordial que peut susciter l’idée qu’un précédent utilisateur se soit curé l’oreille gauche ou léché le doigt avant de tourner une page, on peut entrer en résonance avec ce bien collectif. Ce n’est pas l’odeur du neuf qu’il exhalerait alors, mais celle de multiples mains curieuses de son contenu. A-t-il traîné dans une cuisine? Un chat s’est-il posé dessus? Quelles émotions a-t-il provoquées? Le livre emprunté possède d’autres vertus que celles de la satisfaction immédiate: il est une sorte de fil d’Ariane entre les populations: âge, genre, origine, milieu social. Et, il est utile de le rappeler en ces temps de surconsommation: c’est peut-être le seul bien qu’on accepte de partager sans vraiment se poser de question.
En 2025, les bibliothèques municipales de la Ville de Lausanne fêtent leurs 90 ans d’existence. Mais peu importe où l’on habite; il y en a forcément une pas très loin de chez soi. Tiens, à propos, où est-ce que j’ai mis ma carte?
Bonnes écoutes et bonnes lectures! Ellen Ichters
Nadia Roch, cheffe du Service Bibliothèques et archives de la Ville de Lausanne, pour les 90 ans des bibliothèques municipales
En novembre 1934, en pleine période de crise, la toute première bibliothèque municipale de Lausanne ouvrait ses portes au public à la rue des Terreaux, afin de pouvoir rendre la lecture accessible à tous·tes. En près d’un siècle, malgré les stéréotypes et les réticences, la bibliothèque est devenue un «lieu de vie», débordant joyeusement de son cadre de départ. Le samedi 7 juin, sur le site de Chauderon, l’accès gratuit aux livres de tous horizons sera célébré aux pieds d’une tortue végétale géante imaginée par l’artiste Isabelle Monnier. EI
Adrien Bosc retrace la vie romanesque de Tristan Egolf, auteur du mythique Le Seigneur des porcheries, suicidé à 33 ans. A travers l’enquête que mène un narrateur fictif, le fondateur des Éditions du Sous-sol observe les mécanismes du monde du livre, en France comme aux Etats-Unis, et conte l’errance magnifique de cet observateur avisé des dérives américaines. ST Lire la suite
Anthropologue et écrivain biennois, Antoine Rubin parcourt la dorsale du Jura et la forêt boréale du Canada pour explorer les multiples exploitations de la roche calcaire, matière première de la bétonisation du monde et dernière demeure de nos déchets nucléaires. En découle un récit de voyage travaillé par des dimensions temporelles qui dépassent l’entendement humain. NJ Lire la suite
Halim Mahmoudi, Seule contre Hollywood, éd. Steinkis
Dans cette bande dessinée inspirée d'un fait réel oublié de 1937, Hallm Mahmoudi redonne vie à une affaire sordide étouffée par les studios MGM. 80 ans avant #Metoo, l'album revient sur un faux casting organisé pour piéger 120 jeunes femmes, dont Patricia Douglas, qui décide de parler. La parole féminine, broyée à l'époque, résonne aujourd'hui avec une force nouvelle dans ce récit, plongée frontale dans les mécanismes du patriarcat et de son impunité. PPC
Camille Zizie, Plus tard crever, ed. Label Rapace, 72 p.
Tant qu’on écrit, c’est qu’on vit. Quitte à écrire sur la mort, avec obstination. Dans cette confession drôle et fiévreuse, souvenirs en vrac d’une hypocondriaque incurable, la Lausannoise Camille Zizie raconte la mort de ses divers animaux domestiques et l’amour d’êtres plus ou moins volatils. Hantée par les mots de Brigitte Fontaine, de Prévert ou de Daniel Darc, la langue de ce bref récit séduit par sa musicalité roborative et son autodérision leste. NJ
Poche
Alexandre Labruffe, Cold case, ed. Gallimard coll. Folio, 256 p.
Longtemps, Alexandre Labruffe s’est passionné pour le passé familial de sa compagne, née en Corée du Sud. La mort tragique d’un oncle à Toronto, après un internement en HP, serait à l’origine des problèmes psychiatriques de son père. L’enquête de l’auteur de Wonderland dépasse ce cadre privé et parle d’émigration, de l’histoire coréenne récente, des traumatismes qui bousculent les familles. C’est aussi un texte très littéraire, et très drôle, grâce aux merveilleux néologismes de Minkyung lorsqu’elle parle français: "le diable est dans le bétail". ST
Roman
Chimamanda Ngozi Adichie, L'inventaire des rêves, ed. Gallimard, 656 p.
Avec L'inventaire des rêves Chimamanda Ngozi Adichie compose une fresque polyphonique où les voix de quatre femmes ouest-africaines résonnent comme autant d'échos dans un continent en mouvement. Entre Lagos, Londres et New York, ces existences tissent une cartographie sensible des espoirs tenaces, des exils intimes, des silences transmis de mère en fille. Elles interrogent ce que signifie vivre, choisir, fuir. Roman d'ombres et de clarté, de mémoire et d'insoumission, ce texte ample et habité mêle l'intime au politique avec une grâce souveraine. SG
Quartier Livre aux Journées Littéraires de Soleure
RTS Première, Quartier Livre, di 1er juin à 16h
Rendez-vous majeur de la scène suisse, Les Journées Littéraires se déploient pendant tout le week-end de l’Ascension à Soleure. En visite dans les studios de la radio alémanique, Quartier Livre donne la parole à trois des invité·es romand·es de cette 47e édition: poète, musicien et écrivain-voyageur, Jonathan Dumani partage avec Le vrai visage de la pluie les observations et sensations d’un singulier périple en Amérique Latine. Née à Morges, Adèle de Montvallon a publié à 18 ans un premier recueil de poésie très remarqué, Ce que l’ombre dit de la lumière. Anita Rochedy , quant à elle, partage sa traduction du magnifique La maison vide du poète tessinois Yari Bernasconi. Animation: Nicolas Julliard, carte-blanche: Salomé Kiner
Chaque premier jeudi du mois, un écrivain en résidence à la Fondation Jan Michalski partage son univers, ses recherches et ses inspirations lors d’une heure de carte blanche. Ce mois-ci, l’autrice et journaliste Charlotte Fauve nous entraîne dans le village yup’ik de Quinhagak, au sud-ouest de l’Alaska, où elle a suivi des fouilles archéologiques aux côtés de Claire Houmard, confrontées ensemble à "l’Usteq" – littéralement, l’usure du monde.