Une tasse de thé. Un feu dans la cheminée. Un excellent roman. Et Miles Davis en fond sonore. Ça ressemble à un moment parfait. Pour certains d’entre vous, ça l’est peut-être. Pas pour moi, hélas. Il m’est impossible de lire en écoutant de la musique. Quelques notes, même les plus douces, les plus atmosphériques, et mon esprit divague, se perd dans des rêveries nébuleuses, loin, très loin de ce qui se joue sur la page. Alors, je coupe le son, espérant retrouver avec le silence toute ma concentration. Littérature ou musique, il faudrait donc choisir ? Pas forcément, et c’est heureux.
Les deux arts entretiennent un dialogue constant et fécond, au moins depuis Orphée. Et même si la prose semble plus éloignée de la musique que la poésie, elle s’en imprègne, s’en inspire et s’en nourrit. Pour ne citer qu’un exemple, je pense au dernier roman de Deborah Levy. Dans « Bleu d’août » (éd. du Sous-sol), l’écrivaine britannique raconte la quête existentielle d’une pianiste en pleine débâcle. Lors d’un concert à Vienne, elle a quitté la scène au beau milieu de son interprétation du Concerto n °2 de Rachmaninov. La mélodie impérieuse, puissante du compositeur russe, ses accords éclatants, son torrent de croches, accompagne la lecture, se mêle aux mots, aux phrases.
On pourrait aussi évoquer le magnifique passage dans « Yoga » (P.O.L), où Emmanuel Carrère décrit une vidéo où l’on voit la pianiste Martha Argerich jouer la Polonaise héroïque de Chopin. Il s’attarde sur son sourire : « Il dure très peu de temps ce sourire de petite fille, ce sourire qui vient à la fois de l’enfance et de la musique, ce sourire de joie pure. Il dure cinq secondes, de 5’30 à 5’35, mais pendant ces cinq secondes on a entrevu le paradis. » Dans un tout autre genre, on pourrait encore parler de Nick Hornby dont le roman culte « Haute Fidélité » contient pas moins d’une centaine de citations de chansons, ou de « Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu habité par les riffs enragés de Nirvana, mais aussi de tous les auteurs qui agrémentent désormais leus livres d’une playlist…
Cette année, le Festival MOT pour mots organisé par « Le Monde », « Le Nouvel Obs » et « Télérama », se déroule les 21 et 22 juin. Un festival littéraire pendant la fête de la musique : une évidence finalement. Lola Lafon, la marraine de l’événement, est également chanteuse. Parmi les auteurs et autrices invité.e.s, beaucoup sont aussi musicien.ne.s : Bertrand Belin, la Grande Sophie, Albin de la Simone, Blandine Rinkel… D’autres comme Marie NDiaye, Christine Angot, Camille Laurens ou Emma Becker, ont su imposer cette fameuse « petite musique » qui rend leur style immédiatement reconnaissable. Et pour ma part, j’ai hâte de découvrir les karaokés littéraires. Enfin, je vais pouvoir lire et écouter de la musique en même temps ! Peut-être même chanter (même si ça, je ne le souhaite à personne).
Retrouvez tout le programme de MOT pour mots ici : mot-pour-mots.fr/events/22-programmation-2025
Elisabeth Philippe