Le meilleur ami des femmes
« Prends le chien avec toi ! » Jâai dix ans et je pars sur mon vĂ©lo acheter des barres chocolatĂ©es Ă la petite Ă©picerie du village voisin, tenue par une femme Ă lâĂąge indĂ©finissable qui passe ses journĂ©es Ă tricoter. Ma piĂšce de 10 francs en poche, je pĂ©dale toute seule sur une route de campagne sans croiser Ăąme qui vive, le terrain favori de tous les pĂ©dophiles et kidnappeurs dâenfants. Mais nous sommes en 1990, Ă une Ă©poque oĂč on ne connaĂźt pas encore les macabres noms de Marc Dutroux, Michel Fourniret ni Ămile Louis. Aujourdâhui, qui laisserait sa fille de dix ans parcourir une dizaine de kilomĂštres seule sur un vĂ©lo, sans tĂ©lĂ©phone portable ni balise GPS ? Pour lâheure, on ne formule pas les choses ainsi. On ne dit pas aux petites filles que le monde est plein de prĂ©dateurs, que ces hommes peuvent ĂȘtre nâimporte qui, des voisins, des gens bien sous tous rapports, on ne les prĂ©vient pas de la dangerositĂ© de la violence masculine. On dit : « Prends le chien avec toi ! » Au cas oĂč.
Le chien est le plus vieil animal domestiquĂ©, notre histoire est intrinsĂšquement liĂ©e Ă la sienne. On ne sait pas exactement comment ce miracle sâest produit. On imagine quâautour de 35 000 ans avant notre Ăšre des loups se sont invitĂ©s Ă la table des humains. Ou quâils les ont aidĂ©s Ă chasser en rabattant le gibier. Ou, a contrario, que des humains ont profitĂ© du gibier tuĂ© par les loups. Câest lâhypothĂšse masculine du loup et de lâhomme Ă la chasse, unis par le sang des bĂȘtes dĂ©vorĂ©es. Lâautre thĂ©orie, câest que des louveteaux ont Ă©tĂ© introduits puis Ă©levĂ©s par les femmes et les enfants jusquâĂ ce que, miracle de lâĂ©volution, ce canis lupus devienne canis lupus familiaris une quinzaine de milliers dâannĂ©es plus tard.
Une chose est sĂ»re, la domestication de ce loup devenu chien a accompagnĂ© lâhomme dans sa propre Ă©volution du palĂ©olithique au nĂ©olithique. Le chien a autant fait lâhomme que lâhomme lâa fait chien. On relĂšve trois foyers de naissance du chien : un premier il y a 15 000 ans en Europe centrale, le deuxiĂšme il y a 12 500 ans au nord de la Chine en SibĂ©rie et un troisiĂšme au Proche-Orient. Et on suppose que, trĂšs tĂŽt, le chien a revĂȘtu une fonction affective plus quâĂ©cologique. Au-delĂ dâun Ă©change de bons procĂ©dĂ©s entre chasseurs, il sâest fait une place en tant que gardien des plus vulnĂ©rables, femmes et enfants, jusquâĂ faire pleinement partie de ce groupe social. Ă Oberkassel, dans une tombe vieille de 14 300 ans, on a exhumĂ© les ossements dâun chien enterrĂ© avec ses maĂźtres. De mĂȘme en Palestine, on a retrouvĂ© la tombe dâun jeune adulte enterrĂ© avec un chiot. Preuve que trĂšs vite, plus quâun outil de chasse, le chien est devenu un partenaire social, un individu auquel on sâattache. Mais Ă©galement un souffre-douleur, un animal quâon a exploitĂ© et tuĂ© pour sa viande ou sa fourrure. Ce qui lâa sauvĂ© en partie, câest sa capacitĂ© Ă communiquer par des sons et des aboiements qui nâexistent pas chez le loup, ainsi que des attitudes et expressions faciales qui ont permis lâĂ©laboration dâun langage commun. Nous pouvons le comprendre tout comme il peut nous comprendre en retour. Parce quâil a dĂ©veloppĂ© cette capacitĂ© Ă Ă©changer, il est devenu compatible avec la vie sociale humaine. Et parce quâil a Ă©tĂ© trĂšs tĂŽt assignĂ© au foyer, câest avec les femmes quâil a dĂ©veloppĂ© un lien particulier fondĂ© sur lâempathie. Les chiens et les femmes ont Ă©voluĂ© ensemble.
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