C’était une belle histoire, que sa conteuse nous avait elle-même déroulée de sa douce voix dans les locaux des éditions Stock en 2023. Dans « Le Chemin de sel », la Britannique Raynor Winn décrit son parcours de persévérance et de rédemption et celui de son mari Moth. À la suite d’un contentieux judiciaire, les deux quinquas à l’époque s’étaient retrouvés ruinés, et apprenaient de surcroît que Moth est atteint d’une forme rare de dégénérescence du cerveau. Que faire quand on n’a plus de toit, aucune économie et que l’on souffre d’une maladie incurable ? Marcher tout droit. Avec 115 livres sterling en poche (environ 130 euros), une tente d’occasion achetée sur eBay, deux sacs de couchage ultralégers et soldés, Raynor et Moth s’élancent sur le célèbre sentier côtier du sud-ouest de l’Angleterre, 1 013 kilomètres du Somerset au Dorset via le Devon et les Cornouailles. L’affaire sera ardue – la faim, la fatigue et les préjugés des autres randonneurs s’invitant au voyage. Mais au fur et à mesure du chemin, le désespoir laisse place à la sérénité. Le livre a connu un succès phénoménal au Royaume-Uni comme à l’international avec plus d’1 million d’exemplaires vendus. Il a été adapté au cinéma par Marianne Elliott, avec, dans les rôles des deux marcheurs, Gillian Anderson et Jason Isaacs. Encore inédit en France, le film est sorti en salles au mois de mai au Royaume-Uni. Raynor Winn en est co-productrice. Une enquête de « The Observer » vient jeter une ombre sur cette success story. Dans un long article, le journal révèle que cette histoire vraie ne l’est qu’à demi. Dans « Le Chemin de sel », Winn reste évasive au sujet des raisons du départ. Tout au plus est-ce décrit comme un mauvais investissement qui laisse le couple criblé de dettes. Pas si simple. Selon « The Observer », Raynor Winn a été accusée d’avoir détourné de l’argent de la petite entreprise dans laquelle elle était employée comme comptable à mi-temps. Pour compenser, le couple (qui s’appelle en réalité Sally et Tim Walker, soit « marcheur », ça ne s’invente pas) aurait contracté auprès d’une connaissance un prêt qui mettait en jeu leur logement. Incapables de rembourser la somme, ils auraient perdu leur maison. Un doute existe aussi quant à la maladie de Moth, une dégénérescence corticobasale (DCB). Son épouse prétendait que le fait de prendre le grand air améliorait son état de santé. Or, selon « The Observer », les personnes atteintes de DCB auraient une espérance de vie de six à huit ans après le diagnostic. Moth, lui, vit depuis 18 ans avec et ne semble pas présenter de symptômes visibles. Les neurologues consultés par l’hebdomadaire britannique s’interrogent. « Je serais très sceptique quant au fait que ce soit le DCB. Je n’ai jamais soigné quelqu’un ayant vécu aussi longtemps », explique l’un d’entre eux. Raynor Winn a contre-attaqué sur son site, donnant à voir des justificatifs de la maladie de son mari et s’excusant « des erreurs » dans son activité passée de comptable. Dans un communiqué cité par « The Observer », l’écrivaine souligne que « “Le Chemin du Sel” expose le voyage physique et spirituel que Moth et moi avons partagé, une expérience qui nous a complètement transformés et a changé le cours de nos vies. C’est l’histoire vraie de notre voyage ». Ce versant-là n’est pas contesté. Les nouveaux éléments n’entachent pas le cœur du livre, cette longue marche, cette reconnexion à la nature. N’empêche. Le contrat avec les lecteur de Mémoires devant reposer sur une authenticité brute, savoir que des événements ont été embellis provoque une légère amertume − plus importante sans doute pour les personnes atteintes de DCB qui pouvaient y trouver une lueur d’espoir. Tout cela aurait pu être évité si le livre avait été présenté comme une fiction. Il faut croire que d’une façon ou d’une autre, Raynor Winn est déterminée à nous faire marcher. Amandine Schmitt |