Plus que jamais, pour raison garder, il nous faut des fous. L’excellente nouvelle, c’est qu’il en reste. A nous de leur tendre l’oreille. Marc Roger est de ceux-là. Lecteur public. Un drôle de métier qu’il s’est inventé sur mesure, voici plus de trente ans, au début des années 1990, comptant parmi la petite poignée de précurseurs qui l’ont remise au goût du jour. Mais à sa façon, en conjuguant sa soif inextinguible de textes avec son amour de la marche, de la découverte des paysages et des rencontres. Sa devise : à pied et à voix haute. Ses bouquets d’extraits toujours magnifiquement choisis et composés pour la circonstance, livre à la main, Marc fait naître l’un de ces instants fragiles et magiques qui donnent sel et sens à nos jours. C’est une alchimie entre les textes, un moment et un lieu. En pleine nature parfois, dans des cafés, des bibliothèques, des cinémas partout où ses pas le portent.
Marc est un slow marcheur, qui ne craint ni la solitude, ni les distances ou les obstacles inattendus, immanquablement au rendez-vous. Il les chérit, avance à son rythme, sans jamais forcer le pas, se gorgeant des beautés offertes à ceux qui cheminent librement, l’œil et l’oreille aux aguets, l’imagination et les réminiscences en roue libre. Toute l’année passée, il a foulé le sable le long des côtes françaises du nord au sud, avec le vent et les marées, portant les auteurs au gré de ses étapes. Voici sa feuille de route : « Ne marcher et ne lire que dans des villes ayant accès direct à la mer via une crique, une falaise, un estuaire, une plage ou un port, et concernant mon répertoire, ne réunir que des ouvrages ayant pour thème le littoral et le grand large. Deux années de recherche. Poèmes, récits et extraits de romans, un florilège intitulé 48 fois la mer… 48 textes, autant d’auteurs, de Bray Dunes à Hendaye durant 48 semaines du mois de janvier au mois de décembre 2023. »
De cette aventure modeste et d’une délicieuse ambition à la fois, il a tiré un récit inspirant, « le Sentiment du littoral » qui vient de sortir aux éditions La Grange Batelière. Entre souvenirs flottants, évocations et observation sensible de la rencontre troublante, sensuelle et toujours renouvelée entre la terre et la mer, cet entre-deux dont il déploie le vocabulaire poétique et précis qui est en soi un dépaysement, c’est un petit livre qui soigne l’âme. Pétri de belle littérature, de poésie et de rencontres avec tous ces fous héros inconnus mais souvent flamboyants, intenses, artistes ou artisans du quotidien qui résistent à l’absurdité. Ils vivent à deux pas de chez nous mais on ne les croise jamais que par grande chance ou parce que, comme Marc Roger, on persévère inlassablement à les rechercher au fil du sentier.
Par bonheur, la littérature, c’est contagieux !
Car Marc est un récidiviste. Déjà en 1997, sa besace lestée des meilleurs ouvrages, il s’était lancé dans un tour de France. Une année à cheminer de par les petites routes pour apporter des textes en rase campagne, dans de petites villes, des villages parfois, toujours prompt à dégainer un bouquin adapté au lieu, aux circonstances. A chaque étape, il propose ses compositions, des textes chinés pour la circonstance, parfois en plein air, le plus souvent dans des bibliothèques, médiathèques, librairies, théâtres, cafés etc. Quelques années plus tard, il a enchaîné avec un tour du bassin Méditerranée, puis une traversée méridienne entre Saint-Malo, d’où est originaire sa famille et Bamako, où il est né. Sans parler de ses mille trouvailles pour faire d’une lecture un événement, une rencontre, que ce soit en déclamant perché sur un mur, comme à ses débuts, pendant le off du Festival d’Avignon ou bien agrippé à une charpente, ou encore en marathon-lecture de 24 heures ou plus, immergé dans un livre entier.
D’ailleurs, par bonheur, la littérature, c’est contagieux. En lisant, il est devenu écrivain et « le Sentiment du littoral » se déguste à petites gorgées bienfaisantes. En voici une, pour la bonne bouche. « Le bus démarre. Il suit la rue centrale entre Malo-les-Bains et l’intérieur des terres. Les villas de la station balnéaire laissent la place aux modestes maisons en brique rouge des quartiers populaires. Le soleil est radieux. Oubliée, la tempête Gérard. La grande plaine horticole de Bray-Dunes étincelle de givre. De la route de Furnes sur laquelle nous roulons, on peut voir le maillage serré des canaux du polder. Les fortes pluies des derniers jours ont inondé les champs. L’eau stagne en petits étangs d’argent. Des centaines de mouettes s’y sont posées. Toutes orientées dans le sens du vent, sur le clapot, elles se balancent comme des jouets mécaniques. »
Véronique Radier