Chez moi, il y a plusieurs reproductions d’un tableau de Jean-François Millet qui s’appelle l’Angélus. C’est un couple de paysans dans un champ le soir, ils sont debout, face à face, la tête baissée, ils prient avec un panier à leurs pieds. J’en ai un sur un bol dans la cuisine, un autre sur une tasse à café dans le salon, un autre sur un petit pot dans la salle de bain, dedans il y a du mascara, une pince à épiler et une crème pour les yeux. (Pas super efficace la crème, mais c’est un autre sujet). J’en ai parce que mon père les collectionne depuis toujours au nom du kitsch. Et d’aussi loin que je me souvienne, à la maison, il y en avait partout : sur des boîtes à camembert, brodés sur des rideaux, sur des vieux chromos, sur des saucières, des coquetiers, des assiettes ou des boîtes à gâteaux. Sur les murs, les étagères, des coins de bureau, des bouts de bibliothèque, dans toutes les pièces, même les toilettes. Alors, à force, je l’ai adopté, ça fait partie de mon décor. J’aime bien l’avoir sous les yeux. Un jour j’ai appris que Salvador Dali était obsédé par ce tableau au point de le citer et d’écrire dessus. Il a spéculé, entre autres, sur le fait que ce n’était pas sur un panier que s'inclinait le couple de paysans, mais sur une tombe d’enfant. Les conservateurs du Louvre ont passé le truc au rayon X, et bingo, il y a une petite caisse noire cachée sous le panier, un petit cercueil aux pieds des parents… Récemment, dans le si cool Book Club de Marie Richeux sur France Culture, j’ai entendu l’écrivain Grégoire Bouillier (il parlait de lui, Monet et Dali) dire qu’on n’est pas obsédé par hasard par une image. (Les obsessions ça le connait j’ai l’impression). |