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Vendredi 28 juin 2024

C’est un titre qui semble porter la poisse, mais il faut toujours se méfier des titres. « L’Etrange défaite » de Marc Bloch est un livre qui mérite d’être dévoré au moment où, précisément, nous espérons tous une victoire des alliés de gauche contre l’extrême droite. Vous ne connaissez pas « L’Etrange défaite » ? Ce texte d’une petite centaine de pages, écrit à chaud à l’été 1940 par l’historien et résistant Marc Bloch (par les Allemands en 1944) nous parle bien d’une défaite. D’une déroute même. Celle de l’armée française, totalement prise de court par le rouleau compresseur allemand. Celle d’un pays, le nôtre, persuadé de l’excellence de sa stratégie et qui se retrouve en état de sidération, envahi d’une pichenette par une Wehrmacht mieux armée, mieux organisée et surtout, qui pense moderne.

Pour ceux qui espèrent en la victoire du Nouveau Front Populaire, cette lecture sera salutaire. Car quitte à choquer, j’ai envie d’écrire que, qu’elle gagne ou qu’elle perde les législatives, la gauche a, de toute façon, perdu les élections. Pourquoi ? Parce que quand une large fraction des classes populaires ne vote plus à gauche, ne croit plus en elle, voire la déteste, c’est une débâcle. Et cette débâcle, il faut bien tenter de la comprendre, de l’analyser.

Que nous apprend « l’Etrange défaite » ? Qu’il ne suffit pas de défendre de nobles idéaux pour contrer l’extraordinaire puissance de la coulée brune. A gauche, cela signifie qu’il est urgent de mettre les logiciels à jour pour écouter la détresse, comme l’a fait, avec maestria, l’extrême droite ces dernières décennies. La gauche, elle, n’a pas moufté. « Les Allemands ont fait une guerre d’aujourd’hui, sous le signe de la vitesse, écrit Bloch. Nous n’avons pas seulement tenté de faire, pour notre part, une guerre de la veille ou de l’avant-veille ».

En 1940, l’armée française n’a pas été prise au dépourvu, dit-il : elle s’est laissée surprendre par les Allemands, alors qu’elle aurait eu le temps d’anticiper leur modus operandi. De même, voilà plus de vingt ans que le FN, puis le RN, piaffent aux portes du pouvoir, qu’ils tirent les bénéfices de la colère et du sentiment d’abandon des Français. La gauche les regarde croître et prospérer, montrant ce que Bloch nomme une « étonnante imperméabilité aux plus clairs enseignements de l’expérience ». Ainsi au pouvoir pendant cinq ans, sous François Hollande, elle n’a pas innové, n’a rien osé, n’a pas entendu, par exemple, que les émotions étaient devenues des facteurs déterminants du vote.

Au fond, elle s’est comportée comme les états-majors dépeints par l’historien : incapables de « se mettre par la pensée à la place d’autrui », en l’occurrence, les classes populaires. Moins « par mépris que par pauvreté d’imagination et manque de sens concret. » Elle a agité des slogans et de grandes généralités (« l’égalité des chances », le « vivre-ensemble ») plutôt que d’agir sur le terrain, après l’avoir scruté de près.

Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas, avec « l’Etrange défaite », de se couvrir la tête de cendres et de faire porter à la gauche les errements dont Emmanuel Macron et les siens sont aujourd’hui très largement responsables. Simplement, la gauche ne pourra retrouver de légitimité politique sans regagner, voix après voix, son crédit auprès des classes populaires. Autrement dit, sans transformer les conquêtes sociales, l’écologie, le féminisme en batailles culturelles capables de susciter le désir ailleurs que dans les centres-villes. « Le monde appartient à ceux qui aiment le neuf », écrit Marc Bloch. Quel que soit le résultat des législatives, il est temps de mettre en place du neuf.

Arnaud Gonzague

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