DĂ©couvrez un extrait du nouveau thriller de Terry Hayes
« Comme câest souvent le cas dans le domaine du renseignement, la mission avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e Ă la suite dâun Ă©vĂ©nement apparemment anodin. Un homme, qui tentait de rĂ©parer la climatisation de sa voiture, avait trouvĂ© un morceau de papier â qui nâindiquait rien dâautre quâun numĂ©ro de code et des rĂ©fĂ©rences dâexpĂ©dition â fixĂ© au dos dâune piĂšce de rechange. Pour la plupart des gens, cela nâaurait eu aucune signification, sauf que cet homme nâĂ©tait pas ordinaire et que ce bout de papier Ă©tait tout Ă fait remarquable, du moins sur un aspect.
Lâhomme en question Ă©tait un des soldats de ce qui Ă©tait devenu lâorganisation terroriste Ă la croissance la plus rapide au monde â la Nouvelle ArmĂ©e islamique des Purs. Celle-ci sâĂ©tait essentiellement nourrie du fondamentalisme religieux et de la haine anti-occidentale. Rien dâoriginal Ă cela â il y avait des dizaines dâorganisations de ce type â, exceptĂ© que cette ArmĂ©e des Purs Ă©tait la derniĂšre incarnation du groupe terroriste sans doute le plus redoutable de lâhistoire moderne.
MalgrĂ© ce que de nombreux dirigeants ont affirmĂ©, lâĂtat islamique, Ă©galement connu sous le nom de Daech â lâorganisation violente qui avait Ă©mergĂ© des ruines de Syrie et dâIrak â, nâavait jamais Ă©tĂ© vaincu militairement. Constamment menacĂ©, il sâĂ©tait dispersĂ© aux quatre vents et le cancer avait mĂ©tastasĂ©.
La surveillance par satellite, le piratage tĂ©lĂ©phonique Ă lâĂ©chelle industrielle et la reconnaissance faciale omniprĂ©sente â dont la version secrĂšte la plus Ă©laborĂ©e peut dĂ©sormais identifier des personnes Ă plus de trois cents kilomĂštres de distance dans lâespace â avaient rĂ©vĂ©lĂ© que lâArmĂ©e des Purs attirait des combattants Ă un rythme que mĂȘme lâobservateur le plus blasĂ© de Langley nâaurait pas cru possible. Ă son apogĂ©e, Daech avait enrĂŽlĂ© plus de trente mille guerriers Ă©trangers, et on avait vu un grand nombre dâentre eux â dĂ©sormais trĂšs expĂ©rimentĂ©s â emprunter la route cĂŽtiĂšre de Karachi ou les anciennes pistes de lâopium partant dâAfghanistan pour rejoindre lâArmĂ©e des Purs.
Pour les milliers dâagents de Langley qui, aprĂšs le 11 septembre, ont consacrĂ© leur vie professionnelle Ă surveiller les sables mouvants et les courants secrets du fondamentalisme islamique, il devenait de plus en plus Ă©vident quâon assistait Ă la montĂ©e de quelque chose dâaussi terrifiant que Daech et dâaussi redoutable que lâAl-QaĂŻda dâOussama ben Laden. Mais ces mĂȘmes analystes savaient bien que la rhĂ©torique violente de ce mouvement et ses bataillons de partisans nâĂ©taient que cosmĂ©tiques. Sans un Ă©lĂ©ment crucial, tout groupe de fondamentalistes islamiques nâĂ©tait pas diffĂ©rent des trois cents milices armĂ©es opĂ©rant en AmĂ©rique â des hommes et des femmes qui se dĂ©guisaient le vendredi soir et se « dĂ©ployaient » dans la forĂȘt la plus proche de chez eux le week-end. Pour ĂȘtre le bon grain et non lâivraie, pour gagner la reconnaissance, un groupe terroriste se devait de frapper.
Plus inaccessible est la cible, plus grande est la gloire, et il nây avait pas de cible plus inaccessible que lâAmĂ©rique. Ben Laden avait rĂ©ussi de maniĂšre spectaculaire, devenant ainsi une sorte de phare pour tous les autres groupes terroristes. Dâune certaine maniĂšre, bien que le site de lâattaque du 11 septembre ait Ă©tĂ© dĂ©blayĂ© il y a des annĂ©es, nous vivons toujours parmi les ruines des tours jumelles. Comme lâa dit un historien, virus incontrĂŽlĂ©s, dĂ©rĂšglement climatique, ouragans catastrophiques, inondations massives et terrorisme sans fin â nous sommes vraiment entrĂ©s dans lâĂre de la panique.
Six heures aprĂšs que les analystes de la CIA eurent prĂ©sentĂ© leur rapport top secret sur la montĂ©e en puissance de lâArmĂ©e des Purs â et, par consĂ©quent, fait passer au rouge clignotant le signal de lâantiterrorisme â, la station de Kaboul, câest-Ă -dire le dĂ©ploiement de la CIA en Afghanistan, entendit les premiers Ă©chos de ce qui allait devenir un roulement continu de rumeurs.
Parfois, je repense Ă mes dĂ©buts dans le renseignement : jâĂ©tais Ă bord dâun cargo qui traversait la mer dâAndaman au large de la ThaĂŻlande et, incapable de dormir, trop nerveux Ă lâidĂ©e de devoir mâinfiltrer au Myanmar pour rencontrer un groupe de chefs rebelles, jâĂ©tais montĂ© sur le pont. CâĂ©tait une de ces soirĂ©es que les contrĂŽleurs aĂ©riens qualifient de severe clear â pas un bruit, pas un nuage, juste une brise qui chassait toute pollution et un ciel Ă©toilĂ© par une nuit exceptionnellement claire.
LâhĂ©lice du bateau faisait briller des milliards de micro-organismes marins, et jâavais la sensation dâĂȘtre entourĂ© par la phosphorescence de lâocĂ©an. Avec la Voie lactĂ©e au-dessus de moi et une voie lactĂ©e en dessous, jâavais lâimpression de traverser une mer de bougies â mĂ©taphore parfaite du monde du renseignement. Voyageant eux aussi dans des eaux Ă©tranges et Ă©trangĂšres, les agents sont environnĂ©s, non dâĂ©toiles et dâorganismes marins, mais de fragments dâinformations. Lâastuce Ă©tait la mĂȘme : ne pas sâarrĂȘter aux bougies, essayer de voir la lumiĂšre.
AprĂšs avoir Ă©coutĂ© le roulement continu des rumeurs pendant des semaines, la station de Kaboul avait regardĂ© au-delĂ des bougies et conclu que lâArmĂ©e des Purs planifiait un Ă©vĂ©nement majeur, un acte de terrorisme conçu comme une grande mise en scĂšne inspirĂ©e par ses plus diaboliques prĂ©dĂ©cesseurs.
Dans le monde du renseignement, il existe un nom rĂ©servĂ© Ă ces actes terroristes de grande ampleur, et la station de Kaboul Ă©tait convaincue quâun autre Feu dâartifice Ă©tait en prĂ©paration. » |