| | Meta : stop ou encore ? | | Bienvenue dans l'ère des trolls ! En décidant de revoir complètement sa politique de modération des contenus, Mark Zuckerberg a entériné l'allégeance des réseaux sociaux à Donald Trump et déclenché un tsunami chez les annonceurs. Entre sidération, consternation et activation des plans B, les marques se demandent désormais vers quel réseau se tourner pour communiquer dans un environnement, disons... sain. Ça valait bien une nouvelle formule de notre newsletter, non ? Nous vous proposons une formule légèrement remaniée pour laisser plus de place aux débats qui traversent notre industrie et un nouveau nom : « Un pavé dans la jungle ». L'équipe de Story Jungle vous souhaite une bonne lecture et (malgré tout) une très belle année 2025.
« Je veux parler de quelque chose d'important aujourd'hui. » La mine est crispée, le ton grave et les mains jointes. En début de semaine dernière, Mark Zuckerberg a pris une posture quasi-politique pour formuler une grande annonce sur ses réseaux sociaux : « Il est temps de revenir à nos racines concernant la liberté d'expression sur Facebook et Instagram [...] Nos algorithmes de vérification ont été trop orientés politiquement et ont plus participé à réduire la confiance qu'ils ne l'ont améliorée, en particulier aux États-Unis. [...] Nous sommes arrivés à un point où il y a trop d'erreurs et trop de censure. [...] Certaines politiques de modération qui se voulaient à l'origine inclusives mais qui ont été utilisées pour étouffer des opinions contraires. C'est allé trop loin. [...] C'est pourquoi nous allons nous débarrasser des fact-checkers et les remplacer par des notes de communauté, similaires à X (ex-Twitter), en commençant par les États-Unis... » Clic, clic, boum ! La veste réversible de M. Zuckerberg « C'est une reprise parfaite du discours d'Elon Musk et de Donald Trump », estime Julien Pain, rédacteur en chef à France Télévisions et responsable du programme de vérification « Vrai ou Faux », ancien partenaire de Meta pour le fact-checking. Certains diront que, en bon businessman, le Zuck va dans le sens du vent. Lui qui, jusqu'ici, n'était pas en odeur de sainteté chez les trumpistes. Donald Trump, qui n'a jamais digéré d'avoir été banni de Facebook après l'assaut du Capitole en janvier 2021, avait même annoncé que le boss de Meta « passerait le reste de sa vie en prison » s'il était impliqué dans des activités illégales visant à influencer l'élection présidentielle... D'autres, comme Kevin Roose, journaliste qui couvre l'actu Silicon Valley pour le New York Times, avancent une théorie un brin différente : « À en croire de nombreuses conversations que j'ai eues avec des amis et des collaborateurs de M. Zuckerberg ces derniers mois, il semblerait que ses opinions politiques ont largement évolué vers la droite depuis 2020, et que son soutien de M. Trump relèverait plus du réel enthousiasme que de l'opportunisme cynique. » Une hypothèse confirmée depuis par le boss de Meta en personne, lors d'une intervention pleine de testostérone dans le podcast de Joe Rogan, voix influente du conservatisme et soutien affiché de Donald Trump : « L'énergie masculine est bonne. La société en est remplie, mais la culture d'entreprise essaie de s'en détourner. Toutes ces formes d'énergie sont positives, mais une culture qui fait un peu plus la part belle à l'agressivité a ses mérites. »
À tribord, toute ! Zuckerberg en a également profité pour annoncer une mesure très concrète : la fin de la politique interne de diversité dans les ressources humaines du groupe (désignée aux États-Unis sous le sigle DEI, pour « diversity, equity and inclusion »). « Le terme "DEI" est devenu politiquement chargé de sens, notamment parce que certains y voient un traitement préférentiel de certains groupes au détriment d'autres. L'intention de départ est bonne [...], mais cela peut aller un peu trop loin. Créer un environnement accueillant pour tous est une chose, dire que la masculinité est mauvaise en est une autre », a-t-il ajouté, regrettant que « le monde de l'entreprise soit culturellement émasculé ». Ce qui explique aussi le grand remplacement opéré à des postes clés de l'entreprise... Dana White, le fantasque patron de l'UFC (la grande ligue de bagarre à la mode), rejoint le conseil d'administration. Et surtout Joel Kaplan, ancien conseiller de George W. Bush, vice-président chargé des affaires publiques américaines de Meta depuis 2011, remplace Nick Clegg, ex-vice-premier ministre britannique, à la tête des affaires internationales du groupe. Deux moves majeurs pour draguer les « mascu » et continuer les courbettes envers le Parti républicain. À l'instar de nombreux grands patrons de la tech, Zuckerberg a rencontré Trump en décembre dernier et versé un million de dollars à son fonds pour l'investiture, où il sera présent en compagnie d'Elon Musk et Jeff Bezos. Au tour de TikTok ? Avec sa vidéo de cinq minutes pour torpiller la modération sur les diverses plateformes de Meta, Zuckerberg a largué une petite bombe nucléaire, dont la déflagration s'est fait sentir dans les bureaux des annonceurs. D'autant plus que, quelques jours plus tard, l'agence Bloomberg affirmait que, si l'interdiction de TikTok aux USA venait à se confirmer, la Chine serait prête à autoriser une vente de la partie américaine de son réseau social phare à Elon Musk. Un win-win pour les deux parties puisque, fort de ses 170 millions d'utilisateurs outre-Atlantique, TikTok pourrait soutenir les efforts de X pour attirer les annonceurs tandis que la société d'intelligence artificielle de Musk, xAI, pourrait bénéficier de données de TikTok, détaille Bloomberg. Dès lors, dans ce contexte glissant, qui laisse à penser que l'écosystème un brin délétère pensé par Elon Musk autour de X (ex-Twitter), pourrait devenir la norme dans le vaste monde des réseaux sociaux, deux questions se posent : quel impact pour les marques et quelles options leur reste-t-il ? Eux dont la confiance en X, déjà faible, est tombée de 22% en 2022 à seulement 12% en 2024, selon une étude publiée par l'institut Kantar en septembre dernier (contre plus de 50% pour Instagram ou YouTube jusqu'à présent). Les marques en PLS « Certes, les annonceurs sont soucieux de leur "brand safety", de la préservation du contexte dans lequel ils exposent leur marque, prévient Xavier Degraux, consultant et formateur spécialisé dans les réseaux sociaux, dans cet article de L'Écho. Mais si cela devait déraper sur Facebook, ils pourraient continuer à y investir, ne fut-ce que pour réaliser des coups marketing dans certaines niches d'audience. Tant que le retour sur investissement demeure élevé, ils ne devraient pas quitter ces plateformes de sitôt. » Ce que tend à confirmer Fergus McCallum, CEO de l'agence TBWA/MCR, dans le Financial Times : « Certaines marques évaluent déjà soigneusement leurs plans et cela va sans aucun doute devenir un casse-tête commercial pour les deux parties. » Si une note interne à Meta, dévoilée par le journal britannique, suggère que les gros annonceurs, soit le groupe désigné comme les « P95 spenders » (ceux qui dépensent plus de 1500 dollars par jour sur Facebook et Instagram), bénéficieront d'un certain nombre de garde-fous en termes de modération, le scepticisme reste largement partagé. « Ces annonces suscitent beaucoup d'inquiétudes pour les marques. Pour l'heure, nous attendons encore de voir par quoi cela va se traduire concrètement, mais la vigilance est de mise », confirme Jean-Luc Chetrit, directeur général de l'Union des Marques, dans Les Échos. « Welcome to the party! »
« C'est le coup de grâce quant à la responsabilité des plateformes », comme le schématise un vétéran de la pub sous couvert d'anonymat pour Business Insider, qui pourrait en pousser beaucoup au déménagement. « Si après X, Facebook et Instagram devaient à leur tour faire l'objet d'une modération moins qualitative, il ne resterait alors plus que TikTok comme environnement « safe » pour les annonceurs », prédit Stéphanie Radochitzki, directrice de la stratégie et spécialiste du digital pour la branche belge de l'agence média Mediabrands. « Même si la décision ne concerne que les États-Unis, elle pourrait amener certains grands annonceurs globaux à quitter pareils réseaux sociaux, y compris en Europe. Et là, il y a une opportunité dont des médias locaux régulés et qualitatifs doivent se saisir », complète Hugues Rey, CEO de l'agence Havas Media en Belgique. Car communiquer dans un environnement sécurisé est un élément fondamental pour les marques qui, dès lors, vont être extrêmement attentives à la polarisation des contenus sur les réseaux du groupe Meta. Quoi qu'il en soit, « les marques entrent dans un nouveau monde, où les règles de fonctionnement établies ne sont plus fiables », s'inquiète Patrick Reid, directeur général du groupe Imagination. Ce que Linda Yaccarino, directrice générale de X, a résumé en une phrase pleine de cynisme lors d'une conférence donnée au CES Technology Show de Las Vegas mardi dernier : « Mark, Meta, welcome to the party! » | | | | ET SINON... (Ça bruisse dans la jungle) | Alors que TikTok pourrait être interdit d'ici quelques jours aux USA, de nombreux utilisateurs américains ont trouvé refuge sur l'application ultra populaire en Chine : Xiaohongshu, sorte d'Instagram sauce chinoise. Ce qui occasionne déjà de drôles d'échanges, repérés par le média Wired. « Bonjour tout le monde, je m'appelle Ryan et je suis un réfugié de TikTok. Le gouvernement américain va bannir TikTok alors nous cherchons une alternative... Nous sommes désolés de vous déranger ici », dit l'un d'entre eux dans une vidéo traduite par une intelligence artificielle. « Pas de problème, vous publiez quand nous, on dort », répond un utilisateur chinois. À l'instar d'HelloQuitX, qui souhaite que nous quittions tous le réseau social d'Elon Musk, main dans la main, le 20 janvier prochain, jour de l'investiture de Donald Trump à la Maison Blanche, de nombreux mouvements se créent un peu partout dans le monde pour tenter de sauver ce qui reste des réseaux sociaux... C'est le cas de Free Our Feeds, soutenu par le fondateur de Wikipédia, qui vise à empêcher que les réseaux sociaux ne tombent entre les mains de milliardaires mégalos. Dans l'univers impitoyable des internet, la décision n'est pas passée inaperçue. Jeudi dernier, par le biais de la cour d'appel de Cincinnati, dans l'Ohio, les États-Unis sont revenus sur la neutralité du net. Les trois juges de la cour d'appel fédérale ont ainsi décidé d'abolir ce principe assurant que les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) ne puissent pas moduler la vitesse de débit en fonction des contenus et qui, en théorie, garantit un accès égalitaire au réseau sans que les opérateurs télécoms n'aient donc la possibilité de ralentir ou censurer certains sites pour en favoriser d'autres. Selon une étude réalisée par l'agence GroupM, la publicité digitale ne connaît pas la crise ! Du moins pour l'instant... +9,5 % de croissance des dépenses publicitaires mondiales en 2024 et des prévisions à +7,7 % en 2025. Idem pour la France, avec un +4,9 % en 2024 et +8,5 % en 2025. « Et si l'on en croit ces oracles, l'embellie devrait donc se poursuivre sur les prochaines années. Gageons que ces prédictions, souvent optimistes, participent parfois d'une prophétie auto-réalisatrice, et que leur niveau de véracité frôle celui du fameux coefficient d'élasticité des comptes publics : si c'est positif, on le garde, si c'est négatif, on l'écarte. », nuance tout de même Jérémy Lacoste, Managing Director France de l'agence d'acquisition digitale Eskimoz, | | UN FORMAT À LA LOUPE | | C'est l'autre volet, plus technique, de la grande annonce formulée par Mark Zuckerberg : l'instauration de « notes de communauté similaires à X » pour remplacer les médias chargés du fact-checking sur les réseaux du groupe Meta. Mais qu'est-ce que c'est au juste ? « Une note de communauté est un ajout d'information proposé par des contributeurs », répond Florent Lefebvre, analyste en données sociales, dans les colonnes du Figaro. Monsieur et madame Tout-le-Monde, donc, qui rejoignent des communautés chargées de recontextualiser, préciser et vérifier les affirmations de certaines publications, dont les publicités. Concrètement, cela se traduit sur X par de maigres conditions fixées par la plateforme : ne pas avoir violé les règles de modération de X, avoir un numéro de téléphone vérifié et être inscrit sur le service depuis plus de six mois. Trois cases à cocher pour être autorisé à rédiger des notes correctives reprenant le principe collaboratif de Wikipédia, et qui seront ensuite examinées par les autres contributeurs. Un cercle fermé jugé vicieux par Florent Lefebvre : « Il faut que les notes soient validées par le plus grand nombre. Le but est de faire consensus. Or la vérification, le fact-checking, ce n'est pas faire consensus. On est sur des logiques très différentes. Et les personnes les plus impliquées dans les notes ne sont pas neutres... [...] Ce qui fait peur dans ces annonces, c'est que Meta est beaucoup plus puissant que X. Jusqu'alors, Elon Musk imposait sa vision sur son propre réseau social, mais là on parle de Facebook, d'Instagram, de WhatsApp, les réseaux sociaux les plus utilisés. » Pour lesquels Zuckerberg n'a pas encore précisé les modalités d'obtention du statut de contributeur « certifié ». | | | | LE CONTENU QU'ON AURAIT ADORÉ FAIRE | | Nous sommes mi-janvier et le prix de la campagne la plus absurde de l'année vient déjà de tomber... Le lauréat s'appelle Australian Lamb, la marque qui représente les éleveurs d'agneaux australiens et commercialise leur production. Un peu plus de trois minutes passées à écouter les éructations d'une galerie de personnages regroupés dans une tribune de foot pour commenter des scènes de la vie quotidienne, avant de trouver la seule chose capable de les mettre d'accord : un bon gros barbecue d'agneau bien juteux. Le twist ici, c'est que le spot met en scène des commentaires bien réels publiés sur Instagram, Facebook, TikTok, Reddit et YouTube, et montre toute l'étendue de leur absurdité, de leur viralité et, évidemment, de leur toxicité... Le tout en prenant même le temps de s'interroger sur des sujets sociétaux comme l'intelligence artificielle, la forme de la Terre, la performance légendaire de la B-girl australienne aux JO de Paris ou, au hasard, l'impact de la consommation de viande sur l'environnement... Un régal de grand n'importe quoi ! | | UNE DERNIÈRE LIANE POUR LA ROUTE | Après presque trois ans d'attente, la saison 2 de Severance est enfin arrivée sur Apple TV+, avec une nouvelle intrigue plus « étrange, sauvage et sombre », ose le média The Verge. Pour ceux qui ne parlent pas la langue de Shakespeare, « severance » signifie « dissociation ». Et pour ceux qui n'ont pas vu le premier opus, la severance désigne la procédure chirurgicale imposée par Lumon, une mystérieuse multinationale toute-puissante, à ses employés pour dissocier leurs vies privée et professionnelle. Concrètement, dès qu'ils prennent l'ascenseur pour rejoindre leur poste de travail, une puce implantée dans le cerveau s'active pour séparer les souvenirs liés à ces deux vies. Résultat : les personnages développent deux personnalités bien distinctes, l'une qui évolue dans l'open space sans avoir conscience qu'il existe un endroit appelé « dehors », et l'autre qui a conscience de travailler pour Lumon mais est bien incapable de se souvenir de sa journée de bureau... Produite et réalisée par l'immense Ben Stiller, cette série à l'intrigue aussi affûtée que nébuleuse (pour rester dans le thème de la dissociation ?) est une petite pépite qui, pour Télérama, se situe à la croisée des chemins entre The Office et Black Mirror. Vaste programme, donc. L'une des meilleures séries développées par la firme à la pomme croquée, aussi. |
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