On l’apprend sur le site du média indépendant Chytomo : 50 librairies se sont ouvertes en Ukraine depuis l’invasion du 24 février 2022. La grande chaîne Ye, qui comptait 34 succursales, a implanté 20 nouvelles boutiques sur le territoire. La demande ne cesse de croître. Un éditeur spécialisé dans la publication d’œuvres interdites lors de la période soviétique estime que ses ventes ont bondi de 50 à 60 % depuis 2022. De son côté, le Parlement a voté il y a six mois une loi instaurant des aides directes pour les libraires et un pass Livre, sur le modèle du pass Culture, destiné aux jeunes.
Comment interpréter ce grand bond ? Passé le moment de stupeur (« quoi ? à la guerre on ne fait pas que la guerre ? »), il n’y a rien d’étonnant à se tourner vers les livres dans les moments dramatiques. D’abord parce qu’il est bien normal de chercher des réponses. On peut imaginer chez les Ukrainiens un énorme besoin de comprendre pourquoi ils ont été attaqués d’une façon si brutale. Les Britanniques ont par exemple eu le réflexe, en 1940, d’aller lire Hitler. « Mein Kampf » (« My Struggle » en anglais) a été l’ouvrage le plus emprunté au mois de mars de cette année-là dans les bibliothèques publiques. La France aussi connut cette « faim de lecture » sous l’Occupation, visible à la fois dans la résistance des chiffres de ventes, dans le dynamisme du marché noir de la librairie et dans l’essor de l’activité des bibliothèques. En Angleterre, où des chiffres sont disponibles, pas moins de 86 nouvelles librairies apparaissent pendant cette période sombre. Un appétit bien normal qui répond au besoin contradictoire de s’acclimater à une situation exceptionnelle mais aussi sans doute, de s’en évader. On voit bien le slogan du journal professionnel britannique « The Bookseller », « Forget Hitler – Enjoy a Book », se décliner en un « Oublie Poutine, bouquine ».
Le paradoxe de tout cela est que les écrivains, eux, sont rares à aimer les temps guerriers. L’Ukrainien le plus célèbre en Europe, Andreï Kourkov, a interrompu son travail romanesque après l’invasion russe. Le conflit, explique-t-il, l’empêche de pénétrer son monde imaginaire. En attendant de retrouver l’inspiration, il lit des traités de philosophie antique et rêve de cueillette de champignons. Chacun son évasion.
Julie Clarini