Quand tout va pour Luca

Sous la mèche grisonnante pointe le regard pétillant des grands jours. Luca de Meo savoure cette soirée du 27 mai comme une victoire : il vient de lever le voile sur l’Alpine A390, un modèle auquel il attache une importance plus grande encore, peut-être, qu’à sa chère Renault 5 E-Tech. Coup de génie ou bien coup d’épée dans l’eau ? L’avenir le dira.

Le directeur général de Renault Group voulait offrir à Alpine le modèle à grande diffusion apte à assurer sa prospérité. Malgré les cris d'orfraie des fanatiques de la marque au A fléché, l'Italien a su imposer sa vision d'un « sport fastback électrique » — soit la parfaite antithèse de la voiture de sport basse, légère et gracile dont Alpine s'est fait une spécialité. Peu importe. Luca de Meo y croit et, fait remarquable, il a su embrigader toute une équipe d'ingénieurs a priori peu enclins à renoncer à leurs chers moteurs à explosion pour embrasser la cause du tout électrique. Ne reste plus — là est le plus difficile — qu'à emporter les suffrages des clients.

Ce processus subtil de séduction passe d’abord par le style. Celui de l’Alpine A390 ne plaira pas à tout le monde, c'est entendu. Mais il ne laissera personne indifférent, ce qui constitue déjà une (petite) victoire. Aux designers qui abordaient avec circonspection la tâche qu’il leur présentait, Luca de Meo disait : « Allez-y, lâchez-vous ! ». Le directeur du design Alpine Antony Villain en témoigne : « Ce qu'il y a de remarquable, avec Luca de Meo, c'est qu'il en veut toujours plus. C'est lui qui nous encourageait, en voyant nos premières maquettes, à ne pas réfréner notre créativité, pour donner davantage de personnalité à un crossover qu'il voulait à nul autre pareil. » Le défi était de taille : il s’agissait de dessiner « une voiture de course en smoking » sans tomber dans la caricature d’une Alpine A110 montée sur échasses et gavées d’anabolisants.

Le temps des comptes viendra bien assez tôt. Pour l'heure, Luca de Meo et ses équipes savourent la bonne réception que réserve la presse spécialisée à ce crossover électrique annoncé entre 65 000 euros et 76 000 euros. Pour ce qui est d’en vendre en quantité suffisante, la confiance est là encore de mise : « Le passage à l'électrique nivelle le terrain de jeu en gommant l'avantage historique dont jouissent les constructeurs spécialistes du premium, avec leurs gros moteurs multicylindres. L’Alpine A390 démontre que Renault Group est capable de concevoir une électrique plus agile et plus plaisante qu’une thermique. Nous savons faire du premium sans faire de gros volumes de ventes. » Dans un dernier sourire, Luca de Meo termine notre entretien en rappelant la règle qu'il a instaurée : « L’objectif est d’être rentable — toujours ».