En cette saison de niaiseries saint-valentinesques (nous n’avons pas de cœur, c’est un fait), il serait tentant de chanter l’amour. Et pour cela, quoi de mieux que la poésie ? Pétrarque, Ronsard, Renée Vivien, Didier Barbelivien… Mais plutôt que de conter fleurette, honorons le courage − le mot « courage » vient du latin « cor », comme « cœur » − dont peuvent faire preuve les poètes. Claude Cahun, par exemple. Cette figure du surréalisme, proche de Breton et surtout de Michaux, suscite un regain d’intérêt plus que bienvenu ces derniers temps. Bien sûr, le centenaire du « Manifeste du surréalisme » multi-célébré cette année, n’est pas pour rien dans cette redécouverte. On a ainsi pu admirer des œuvres de Cahun − collages, photographies, dessins − dans différentes expositions consacrées au mouvement. C’est peut-être aussi son côté queer avant la lettre, qui vaut à l’artiste cette renaissance. Née Lucy Schwob en 1894 dans une famille juive, nièce de Marcel Schwob, l’auteur du « Livre de Monelle », Claude Cahun a très tôt cultivé androgynie et brouillage des genres, tête rasée et bouche laquée, en robe du soir ou costume d’homme. Mais par les temps qui courent, l’héroïsme de cet artiste hors normes pourrait lui aussi imprimer et inspirer les consciences. Car Claude Cahun et sa compagne Suzanne Malherbe (rebaptisée Marcel Moore) se sont illustrées par leurs actes de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale sur l’île de Jersey, au point de faire croire aux Allemands qu’ils se trouvaient face à un véritable réseau. Dans son livre « Les Francs-tireuses » (éd. Anne Carrière), sorti en septembre, Emmanuelle Hutin rappelait les faits d’armes des deux femmes. Dans sa préface à un texte de Claude Cahun, « Les Paris sont ouverts » (Le Rayon blanc), tout juste réédité, la poète et romancière Anne Baldacchino en énumère à son tour quelques-uns : « Pendant quatre années, voici qu’elles lacèrent des affiches, multiplient les tracts, collages et photomontages, (…) inventent des faux codes destinés à semer la confusion, (…) annoncent de fausses nouvelles au milieu de vieilles chansons détournées, insèrent des documents dans des magazines, paquets de cigarettes, bouteilles de champagne, voitures et parfois jusque dans le casque ou les bottes des soldats allemands… » Claude Cahun et Marcel Moore seront arrêtées par les nazis, condamnées à être fusillées avant d’être graciées en 1945. Cahun qui, avant-guerre, défendait l’autonomie absolue de la création littéraire, notamment dans le petit pamphlet « Les Paris sont ouverts » − « l’exigence des conformismes idéologiques serait la négation même de toute poésie » − a su troquer le luth de Musset pour la lutte. Parce que les circonstances l’exigeaient. Parce que l’indifférence n’était pas une option. Engagée malgré elle, elle a lutté en poète. Elisabeth Philippe |