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Vendredi 28 mars 2025

L’écrivain Olivier Cadiot a coutume de dire que ce qu’on aime (par « aime » il signifie « produit un plaisir esthétique »), c’est ce qui est à la fois très moderne, et très ancien. J’y pense à chaque fois que je regarde un tableau de Thomas Lévy-Lasne.

D’abord, cet artiste qui a aujourd’hui 45 ans s’est mis à la peinture dans un moment où, en France, elle était l’art le plus ringard : les gens de sa génération faisaient des installations, de la vidéo, voire des performances, mais certainement pas de grandes toiles qui prennent des mois de travail. Ensuite, les rares de sa génération qui se mettaient à la peinture, avaient plutôt tendance à aller vers l’abstraction de Gerhard Richter, lui, tout de suite, a fait de la peinture réaliste, des portraits, des scènes du quotidien, des gens exerçant leur métier, quelque chose qui rappelle une fonction que la peinture s’était vue volée par la photographie : fixer le banal.

Enfin, et c’est peut-être le plus frappant, même dans ces scènes très ancrées dans le contemporain, on a toujours l’impression d’un souvenir esthétique, une sorte de déjà-vu qui renvoie à l’histoire de l’art pictural : et si, derrière cette femme allongée sur son lit, nue, en train de consulter Facebook son ordinateur portable, il y avait une posture à la Velasquez ?

En ce sens donc, parce qu’il peint le contemporain avec des moyens qui datent, Thomas Lévy-Lasne comble notre désir esthétique du moderne-ancien (ou l’inverse).

Mais il y a une autre raison pour laquelle on l’aime, et pour laquelle on est heureux de voir sortir par les éditions des Beaux-Arts de Paris sa première monographie : Thomas Lévy-Lasne nous apprend des choses sur notre monde.

Prenons la couverture, qui reproduit un très grand tableau. On y voit des gorges qui pourraient être du Verdon : une rivière au fond, des rochers, des arbres biscornus et inquiétants. Allongé, en maillot de bain, un homme est au centre, mais très lointain. Alors, on le regarde mieux et que fait cet homme ? Il regarde son téléphone.

Parmi mille autres sujets d’observation, il y a celui-ci, qui court dans le travail de Thomas Lévy-Lasne : nos comportements numériques et les postures que nous imposent nos objets technologiques. Dans cet homme qui, au centre d’un paysage spectaculaire, a le regard fixé sur un minuscule écran, on peut évidemment voir une critique (d’autant que le tableau s’intitule « Vacance »). Mais le peintre ne dénonce pas, il constate. Dans « Au portable » (2009), il saisit une position qui n’existait pas avant les mobiles et qu’on voit aujourd’hui dans tous les lieux où, quand on attend debout, on regarde son téléphone pour passer le temps : la tête baissée, le bras à 45 degrés, l’air totalement absorbé, ailleurs. C’est très juste, et très beau. Car la force de Thomas Lévy-Lasne est de rendre compte aussi des nouvelles esthétiques produites par ces situations : deux enfants qui regardent dans l’ombre un écran qui n’éclaire que leur visage… un autre a les yeux fixés sur un écran d’ordinateur portable posé à même le sol, dans une position que seuls les enfants tiennent… En voyant ses œuvres, on se dit « mais oui ! c’est évident », comme quand on lit chez Proust la description des restes d’un déjeuner, et que plus jamais dans sa vie ensuite, on ne voit les restes d’un déjeuner sur une nappe blanche sans penser à Proust. Thomas Lévy-Lasne éclaire le réel le plus banal, et le rend ainsi moins banal.

Donc oui, on apprend beaucoup en regardant ses toiles. Et pas seulement sur nos postures numériques. Il y a chez Thomas Lévy-Lasne une magnifique série sur les artisans, une autre sur les animaux, une autre sur des lieux de mémoires ou les scènes de fêtes, et beaucoup de portraits. Le tout saisi dans cette fausse trivialité qui donne son titre à cette monographie : « La fin du banal » aux éditions de Beaux-Arts de Paris.

Xavier de La Porte

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