L’affaire dite « du faux Brad Pitt » a eu un mérite extraordinaire – hormis celui de mettre en garde nos sens contre des arnaques (un peu) mieux fichues qu’avant, à l’ère de l’IA : elle a déclenché des sentiments contrastés chez nous et chez nos amis et a été l’occasion d’expérimenter un éventail de ressentis très rarement associés.
Tout d’abord, il faut bien le dire, elle a commencé par un grand éclat de rire moqueur. Se faire soutirer 800 000 euros pour un motif aussi incongru, cela relève d’un art admirable de la manipulation – Raël peut aller se rhabiller ! Aux premiers temps de l’affaire, notre empathie envers la victime était en effet éteinte par deux éléments : on ne savait rien d’elle, sinon un prénom, Anne. Et puis, on la devinait riche – tout le monde ne dispose certes pas de 800 000 euros à escamoter – ce qui génère naturellement le sentiment mesquin du « c’est bien fait pour elle ».
Mais voilà : en visionnant la défense de cette femme, en réalisant qu’elle sortait apparemment d’un mariage sans amour qui l’avait fragilisée, et vivait une solitude qui abaissait l’estime qu’elle se portait, nos sentiments se sont nuancés. Oui, ne l’oublions pas, Anne est d’abord une victime.
Surtout, il nous a semblé que ce singulier mélange entre rire moqueur et déploration sincère évoquait une saveur qui s’exhale des romans et nouvelles de Guy de Maupassant. Mais oui. Et si l’affaire Anne n’était qu’une variante, spectaculaire et moderne, des intrigues conjugales (on écrit bien « conjugales », et non « amoureuses ») de l’immense novelliste ? A commencer par un roman de 1887 peu connu, et pourtant remarquable, « Mont-Oriol » (que Nolwenn Le Blevennec évoquait ici pour d’autres motifs que le nôtre).
Parmi les cruelles intrigues qui s’entrecroisent dans « Mont-Oriol », il faut ainsi se pencher sur celle qui concerne Gontran de Ravenel, un jeune aristocrate séduisant. Pour le dire vite, Gontran, qui besoin d’argent, se met au service de son beau-frère, le richissime banquier Andermatt. Celui-ci a besoin de mettre la main sur des terres en Auvergne pour agrandir sa station thermale, et s’en mettre plein les poches. Mais les terres qu’il convoite appartiennent au vieux Oriol, un paysan qui ne souhaite pas les vendre.
Andermatt ordonne donc au beau Gontran de séduire et d’épouser la fille d’Oriol, Louise, et d’accaparer ainsi sa dot nantie des terres précieuses. Gontran s’exécute. Et alors qu’il avait commencé à courtiser la sœur de Louise, il abandonne cette dernière pour la jeune femme la mieux dotée.
A ce point du roman, on se dit « Louise ne va tout de même pas tomber dans le panneau, allons », exactement comme on s’est demandé comment Anne avait pu mordre à l’hameçon. Mais dans les deux cas, l’arnaque fonctionne. Car Gontran a tout d’un Brad Pitt du XIXᵉ siècle : il est sexy, spirituel, beau parleur et, en plus, il possède un titre de noblesse − l’équivalent, dans les années 1880, d’une carrière à Hollywood !
La jeune Louise, qui n’a pas été informée des dangers des « coureurs de dot » et ne sait rien des hommes, ne peut faire autrement que de livrer son destin avec le même enthousiasme naïf qu’Anne. A la fin de « Mont-Oriol », elle s’unira à un personnage cynique, menteur et qui n’a rien à faire d’elle, et l’on devine, avec un pincement douloureux, que les années à venir ne seront pas drôles.
Le tollé qui a suivi l’affaire du faux Brad Pitt a suscité quelques propositions, notamment celle de mieux parler des risques des réseaux aux lycéens. Ajoutons-y notre modeste contribution : parents, faites lire Maupassant à vos ados !
Arnaud Gonzague