«— Vous êtes prêt ?
Les lèvres tremblotantes du vieil homme lâchèrent un « oui » à peine audible. Alain appuya sur le bouton marche du dispositif et les premières volutes de vapeur s’élevèrent depuis la fente. Il tendit l’appareil au patient.
— Il est temps pour vous de retrouver votre passé, sourit-il.
Sans attendre, celui-ci porta l’objet à son nez et prit une grande inspiration. Une fraction de seconde suffit à ses cellules olfactives pour capter les molécules odorantes qui flottaient dans l’air. L’instant d’après, le souffle coupé, il lui sembla tomber dans le vide. Un plongeon dans les limbes de sa mémoire, un voyage là où personne ne s’aventure : l’oubli. Il était en immersion totale dans les méandres de son cerveau. Le mélange ne faisait pas seulement remonter les souvenirs, mais aussi toutes les émotions et les sensations passées. L’insouciance, la légèreté et la candeur de l’enfance. Il aurait été incapable de se rappeler quand il les avait ressenties pour la dernière fois. Un jour, elles avaient simplement disparu de ses perceptions. Alors que son hypothalamus digérait l’information olfactive, son corps s’embrasa. Une explosion d’anecdotes, toutes plus lumineuses et précises les unes que les autres, refirent surface. Des détails qui lui semblaient perdus depuis si longtemps. Les grimaces de son professeur lorsqu’une réponse était fausse ; les doigts boudinés des élèves qui s’agrippaient à son col quand ils découvraient l’affront poussiéreux ; les lacets toujours défaits de Louis. Louis et son rire qui rebondissait contre les murs de la cour de récréation. Louis et ses genoux égratignés, pleins de terre et de sang. Une irradiation chaude emplit le ventre du vieil homme. Il était euphorique, extatique. Il était à nouveau ce gamin. Fini ce corps flétri, ce corps que le passage inéluctable du temps avait rabougri et courbé. Il se sentait soudain éternel, impétueux et brave, comme seuls peuvent l’être les enfants. Le torse bombé face à l’avenir, défiant de son regard malicieux le monde qui s’offrait à lui. Si jeunesse savait et si vieillesse pouvait… Non. Il piétinait de ses souliers d’écolier l’adage. Si vieillesse se souvenait de ce que jeunesse était. Son âme entière se gorgea de plaisir. Les larmes coulaient le long de ses joues déjà sillonnées par les années. Il était à la fois vide et plein, présent et si loin.
Peu à peu, les effets de la SVM s’estompèrent, emportant avec eux les réminiscences de sa vie d’avant. L’espace d’un instant, son enfance lui avait rendu visite. Lorsqu’il rouvrit les paupières, les parfums de son passé s’étaient évanouis. Il avait la gorge sèche et les yeux mouillés. Alain, qui se trouvait à ses côtés, posa une main réconfortante sur son épaule :
— Bon retour parmi nous. » |