Bien à l’abri du podium que trustent Freida McFadden et Joël Dicker, il ondoie et barbote tranquillement. Lui, c’est « Poisson-Fesse » de Magali Le Huche et Pauline Pinson (Les Fourmis Rouges), situé à la 36ᵉ place du classement Datalib des meilleures ventes de livre, tous genres confondus. Un exploit pour un livre sorti au mois de juin, de surcroît un livre jeunesse. Dans sa catégorie, il est le plus élevé du classement, à part si l’on compte le tome XIV du manga « Spy x Family » (Kurokawa), qui peut convenir aux pré-ados.
La petite maison d’édition montreuilloise Les Fourmis Rouges nous a gratifiés de moult pépites par le passé, dont l’émouvant « Une maman c’est comme une maison » d’Aurore Petit ou le grivois « Panique au village des crottes de nez ! » du duo Mrzyk & Moriceau. Ce nouveau succès n’est pas volé : « Poisson-Fesse », c’est tout simplement génial. On y suit l’histoire d’un poisson au physique disgracieux, une « tête de fesses » précisément, qui se fait copieusement moquer par ses camarades aquatiques. Poisson-Fesse ne veut plus être l’espadon de la farce. Il a « envie d’être normal ». Alors, il dérive vers les abysses, où on n’est jamais à court de poissons bizarres. La preuve : il y a des poissons-clé à molette et des poissons-entonnoir. Poisson-Fesse se lie d’amitié un poisson-tomme de Savoie. Poisson-Fesse (« qui s’appelle en fait Damien ») et Poisson-tomme de Savoie (« qui s’appelle en fait Steven ») s’entendent à merveille. Ils jouent de la musique, piègent les pêcheurs et font des « parties de raclette ». Moralité : c’est la beauté intérieure qui compte.
« Poisson-Fesse » a tout pour plaire. C’est un ouvrage très rigolo à lire avec les enfants (à partir de 3 ans conseille l’éditeur), avec un beau message de tolérance et une fin mignonne comme tout. Le dessin de Magali Le Huche sert l’ensemble, elle qui donne à Poisson-Fesse un air de gros chewing-gum rose fluo. Il faut dire que ce n’est pas une débutante. La dessinatrice est connue pour la série des « Paco » (albums sonores publiés chez Gallimard) ou pour la BD « Nowhere Girl » (Dargaud), sur sa passion des Beatles, qui, à l’adolescence, l’a sauvée d’une phobie scolaire, primée au Salon du livre jeunesse de Montreuil en 2021.
« Je n’ai pas forcément envie de m’adresser aux enfants. J’aimerais bien m’adresser aux adultes aussi », déclarait Magali Le Huche en 2019 dans une interview à « Télérama ». De ce point de vue là, c’est une réussite totale en ce qui concerne « Poisson-Fesse ». Autant l’album est un inratable sur les petits, autant il réjouit les grands. Par son graphisme adorable et son titre en forme de blague, difficile de résister à la tentation de l’afficher en bonne place dans sa bibliothèque, comme jadis « Caca boudin » de Stephanie Blake (L’Ecole des Loisirs, 2002). À l’heure actuelle, je n’ai pas mieux à proposer pour lutter contre la morosité ambiante.
Amandine Schmitt