Une trajectoire aussi fulgurante qu’énigmatique
Jeffrey Edward Epstein (1953–2019), initialement professeur de mathématiques à la Dalton School de New York sans diplôme universitaire (1973-1975), devient multimillionnaire en intégrant la banque d’investissement Bear Stearns en 1976, où il aurait excellé comme trader, puis en fondant en 1981 sa société de gestion financière « J. Epstein & Co. », officiellement dédiée à la gestion de fortunes supérieures à 1 milliard de dollars (1).
Toutefois, l'origine réelle de sa fortune reste largement opaque : son principal client connu est Leslie Wexner, milliardaire propriétaire de « L Brands » (« Victoria’s Secret »), qui lui cède plusieurs biens et un contrôle partiel de ses finances dans les années 1990 (2).
Ce lien privilégié avec Wexner, ainsi que l’absence d’activités commerciales transparentes, ont conduit plusieurs journalistes d’investigation et analystes indépendants à formuler l’hypothèse selon laquelle Epstein aurait pu opérer dans des réseaux mêlant influence politique, renseignement et chantage.
La première synthèse policière de ce qui deviendra l’affaire Epstein
La première synthèse policière effectuée sur les détournements de mineures dont s’était rendu coupable Epstein date du 5 mai 2006 (3), cette synthèse résume les témoignages de jeunes filles (14-17 ans) recrutées à Palm Beach, certaines rapportant par la suite avoir été emmenées à New York et Little Saint James.
« 40 victimes potentielles ont été identifiées par le FBI dans le cadre de l’enquête fédérale de 2006 à 2008 »
Julie K. Brown, dans sa série « Perversion of Justice » publiée dans le « Miami Herald » (4), évoque explicitement l’ampleur du réseau d’intimidation qu’il aurait dirigé ainsi que l’impunité judiciaire dont-il aurait bénéficié.
Malgré une trentaine à une quarantaine de témoignages, Epstein parvient à négocier en 2008 un « Non-Prosecution Agreement » (accord de non poursuite) qui lui vaut 13 mois de prison aménagée, avec permissions de sortie quotidiennes et immunité pour ses éventuels complices.
Cet accord secret, dénoncé dès 2010 par le « Palm Beach Daily News », est resté longtemps inconnu du public, avant que le « Miami Herald », dans la série d’articles de Julie K. Brown ne ravive l’affaire en révélant l’ampleur du réseau de coercition sexuelle impliquant des mineures.
L’accord de non-poursuite est signé par Alexander Acosta (5), alors procureur fédéral du District sud de la Floride, au nom du gouvernement des États-Unis, et par les avocats de Jeffrey Epstein, notamment Roy Black et Alan Dershowitz (la signature officielle a eu lieu le 18 juin 2008, bien que l'accord ait été rédigé le 30 septembre 2007) (6).
Dans ce document, le DOJ (ministère de la Justice des États-Unis) affirmerait qu’Epstein a sollicité des mineures pour des actes sexuels à Palm Beach, en violation des lois fédérales et de Floride, tandis que le FBI a identifié environ 40 victimes potentielles (7) dans son enquête fédérale de 2006 à 2008.
Il stipule qu’Epstein accepte de plaider coupable à des chefs d’accusation moins graves au niveau de l’État (sollicitation de prostitution et sollicitation de mineures), évitant ainsi des poursuites fédérales.
Le « Non-Prosecution Agreement » (accord de non poursuite) identifierait également, parmi les infractions enquêtées par le FBI, la « conspiration pour voyager en commerce inter-États dans le but d’un acte sexuel illicite avec des mineures » (Epstein et des « co-conspirateurs connus et inconnus » ont voyagé ou transporté des mineures « en commerce inter-États ou international »).
Des agents de la CIA, du Mossad et du MI6 en relation avec Epstein
Whitney Webb, dans son enquête en deux volumes (8), détaille les liens structurels d’Epstein avec des figures du Mossad, de la CIA et de la mafia financière, en particulier via ses relations avec Leslie Wexner, Ghislaine Maxwell, et divers intermédiaires du renseignement américain, israélien, et dans une moindre mesure britannique (9) soupçonnés d’être impliqués de façon directe ou périphérique dans les réseaux d'influence, de chantage et de blanchiment dans lesquels Epstein semblait évoluer.
En résumé, les procès et plaintes, notamment ceux liés à son arrestation de juillet 2019 (10) , mentionnent explicitement le recrutement et le transport de mineures (11), entre New York, Palm Beach et les îles Vierges via le Lolita Express (12) — utilisé comme un moyen logistique systématique dans ce réseau sexuel et de chantage (13) selon les témoignages des victimes.
De l’incarcération au « suicide » d’Epstein
Epstein est arrêté le 6 juillet 2019 à Teterboro, New Jersey, pour trafic sexuel, suite à une enquête fédérale amplifiée par les articles de Julie K. Brown (« Perversion of Justice ») publiés par le « Miami Herald ».
Incarcéré au « Metropolitan Correctional Center » (MCC), Epstein est placé sous surveillance anti-suicide après un incident le 23 juillet 2019, mais cette surveillance est levée le 29 juillet. Le 10 août 2019 à 6h30, il est retrouvé pendu.
L’autopsie officielle conclut à un suicide par pendaison (14), mais le Dr. Michael Badenun, un expert réputé et engagé par la famille évoque un possible étranglement .
Le rapport du DOJ de 2023 confirme le suicide, appuyé par des vidéos, bien qu’une minute manque (11:58:58 à 12:00:00) (16).
L’environnement carcéral, censé empêcher tout passage à l’acte (suicide), renforce le caractère invraisemblable du récit officiel.
Les deux gardiens affectés à la surveillance de l’unité, Tova Noel et Michael Thomas, ne procèdent à aucun contrôle pendant plus de huit heures. Ils admettent s’être endormis et avoir surfé sur Internet, leur négligence est confirmée par l’Inspectorat général en 2023 (17), tandis que les enregistrements de surveillance sont — selon les services pénitentiaires — soit absents, soit inutilisables, avec une minute manquante dans les images disponibles (18).
L’une des caméras située devant la cellule d’Epstein est déclarée « en panne », les autres vidéos de l’aile sont décrites comme inutilisables ou non enregistrées (19). Aucun audit informatique crédible n’a été publié à ce jour. L’ancien procureur général William Barr a admis en 2019 que les « sérieuses irrégularités » défiaient la logique opérationnelle d’un centre de haute sécurité (20).
Ce faisceau de dysfonctionnements systématiques, couplé à l’absence de réponse judiciaire substantielle, alimente les soupçons légitimes d’une exécution camouflée sous le vernis du suicide, auquel plus aucune personne censée et informée ne croit.
Le procès de Ghislaine Maxwell : des victimes, mais sans coupables
Arrêtée le 2 juillet 2020 par le FBI dans une propriété du New Hampshire, Ghislaine Maxwell, fille du magnat de presse Robert Maxwell, est poursuivie devant le tribunal fédéral du district Sud de New York pour trafic sexuel de mineures, incitation et transport de mineures pour des actes sexuels illégaux, et association de malfaiteurs.
Son procès s’ouvre le 29 novembre 2021 devant la juge Alison J. Nathan. Quatre victimes témoignent à la barre, dont « Jane », Annie Farmer, Carolyn Andriano (sous le pseudonyme « Carolyn »), et « Kate » (pseudonyme).
Le 29 décembre 2021, elle est reconnue coupable de cinq chefs d’accusation, incluant le recrutement et l’acheminement de mineures à des fins d’exploitation sexuelle entre 1994 et 2004, et condamnée le 28 juin 2022 à vingt ans de prison (21).
Ils consommaient sexuellement des mineures ou de jeunes majeurs, ils sont identifiés, pris en photos, mais aucun n’est poursuivi…
L’élément central de ce procès — et l’un des plus troublants — tient à ceci : aucune des figures masculines adultes, comme Bill Gates, Bill Clinton, le prince Andrew, etc., associées à Epstein et mentionnées dans des témoignages ou carnets de vols, n’a été poursuivie, malgré des allégations de relations avec des jeunes filles pour certaines d’entre elles.
Comme l’a noté l’avocat Spencer Kuvin, représentant plusieurs victimes, « on a condamné une proxénète, mais aucun client (22) ».
Le Département de la Justice a refusé de déclassifier les documents concernant les « clients » au nom de la vie privée, en contradiction apparente avec les principes de justice réparatrice. Plus encore, la juge Nathan a placé sous scellés de nombreux dossiers annexes, contenant les noms de personnalités mentionnées par les victimes, les raisons juridiques de cette décision restant partiellement opaques (23), mais la volonté de les protéger affichée par ce juge (était-il un des clients d’Epstein ?).
Ce paradoxe — reconnaître des crimes sans chercher à nommer leurs auteurs — jette une lumière glaçante sur les complicités institutionnelles qui semblent entourer l’affaire. |